Au terme d’un combat dantesque ayant bien failli coûté leur coûter la vie, pinacle d’une deuxième saison explosive, les héros de Demon Slayer paraissaient à bout de souffle. La série aussi. Son animation époustouflante, son action effrénée, ses personnages charmants et ses cliffhangers brutaux camouflaient difficilement sa formule narrative simpliste, répétée depuis le tout premier épisode. À l’instar de Tanjirō Kamado, protagoniste de cette épopée surnaturelle au succès international, il incombait au show japonais d’apprendre urgemment de nouvelles techniques, de se réinventer pour prospérer. Et comme le jeune pourfendeur de démon, Demon Slayer corrige rapidement ses erreurs. La troisième saison envoie donc valser ses seconds couteaux et prend ses poncifs à revers. Désormais, ce n’est plus Tanjirō qui court après les mangeurs de chair humaine, mais eux qui lui tombent dessus sans crier gare. Un revirement accéléré par le nombre croissant d’ennemis, plus coriaces et infects qu’auparavant, et par l’emploi d’un décor inédit qui, sur le papier, n’avait rien d’un champ de bataille.
Après avoir squatté le luxuriant quartier des plaisirs, l’intrigue se loge au village des forgerons, un havre de quiétude où notre héros et sa sœur démoniaque découvrent la culture forgeronne, travail de l’acier et quête héréditaire au menu. Sur sa première heure, la série revendique haut et fort son renouvellement en osant à peu près tout : révélations renversantes, humour bas du front, situations grinçantes, couches de mystère supplémentaires et irruption de personnages inédits. Ce n’est qu’après avoir déballé ses meilleures plaisanteries et pris le temps d’exhumer les lieux qu’elle passe à l’essentiel, un feu d’artifice graphique dont seule la maison Ufotable détient le secret. Le savoir-faire du studio, justement, n’est pas sans rappeler celui des artisans croisés dans l’intrigue : tous sont à la recherche du plus résistant des alliages, et celui sur lequel s’appuie Demon Slayer contribue fondamentalement à sa réussite. Hybridation du dessin en deux dimensions et de l’image de synthèse, son esthétique polymorphe a pour vertu d’accentuer l’ensemble des caractéristiques du combat, d’en rendre plus trépidant ses retournements et d’en romancer la difficulté.
La série a fait de l’effort une variable essentielle à sa narration. C’est pourquoi ses batailles sont si longues, si éreintantes, si désespérées. De la force incommensurable de leurs ennemis jusqu’au poids de leur sabre, tout est bon pour mesurer la persévérance des héros et accuser leurs blessures secrètes. Demon Slayer sonde ainsi ses protagonistes hauts en couleur, en leur faisant frôler la mort régulièrement et en soumettant quelques flashbacks larmoyants au cœur des hostilités, dévoilant un point faible, une information clé, un petit twist qui redistribue les cartes. La troisième saison hérite de cette recette qui fit la renommée des précédentes, semblable à un numéro de funambule, entre fulgurances visuelles, passes d’armes foudroyantes et introspection. Et si l’intrigue fait parfois mine de s’élonger artificiellement, cette dernière compense ses pauses maladroites par une émotion terrassante, venue de toute part.
Car le show ne se cantonne certainement pas à ses gentils chasseurs de démons, dont il semble d’ailleurs avoir fait le tour, mais va piocher ses gros rebondissements du côté des méchants, dont les pouvoirs conceptuels – source d’oppositions ludiques – amènent généralement à une personnalité excitante à décortiquer. C’est la plus considérable des forces de Demon Slayer, outre son graphisme ébouriffant : une caractérisation exemplaire des protagonistes et antagonistes qui strient son scénario. Les nouveaux arrivants ne dérogent pas à la règle : Muichiro Tokito et Mitsuri Kanroji succèdent à Tengen Uzui en tant que figure d’autorité – un statut que pastiche également Demon Slayer en fourguant à Tanjirō des mentors plus jeunes ou frivoles que lui – et trouvent leur place sans peine dans ce nouvel arc. Les furies qui leur barrent la route, semi-divinités aux designs lucifériens, elles, rivalisent de puissance et de dégueulasserie. Même si moins sensationnelle que la deuxième, cette troisième saison rassure finalement : en altérant ses leitmotivs et en conservant ses qualités premières, Demon Slayer recouvre sa vitalité des débuts. La grande conclusion ne devrait pas traîner.
Demon Slayer, 3 saisons, 55 épisodes, 24 min, avec Natsuki Hanae, Akari Kito, Hiro Shimono – Sur Crunchyroll
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JACK7/10 BienMême si moins sensationnelle que la deuxième, cette troisième saison rassure finalement : en altérant ses leitmotivs et en conservant ses qualités fondamentales, Demon Slayer sort intelligemment de la boucle narrative qui piégeait la série. La conclusion ne devrait pas traîner.