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[CRITIQUE] De grandes espérances – La politique se corse

Antoine et Madeleine, deux étudiants qui se rêvent futurs énarques et grands politiciens, vivent soudain un drame que nous ne spoilerons pas dans ces lignes. Après cet événement qui change soudainement leurs vies ils se déchirent et font tout pour sauver leur peau. C’est donc dans ce mélange de thriller politique, de film noir avec un soupçon d’œuvre paranoïaque que De grandes espérances commence. Autant dire que ce mélange des genres nous intrigue tout en nous plaisant, les fictions politiques paranoïaques étant régulièrement de grandes œuvres intéressantes. Des longs-métrages qui permettent donc de créer du divertissement stimulant tout en laissant un point de vue sur la politique actuelle, un angle d’attaque qui nous a donc passionner dans ce nouveau film de Sylvain Desclous.

L’ENA situations / © Ad Vitam

La grande qualité de ce long-métrage c’est qu’il fait le choix de reposer quasi-intégralement sur ses personnages. Alors bien évidemment il y a une intrigue avec des rebondissements et des péripéties de plusieurs sortes, mais ce qui nous attire et obsède le plus ce sont ses personnages. On pense notamment au couple de protagonistes, issus de classes sociales différentes, qui vont donc se déchirer au gré de leurs ambitions et passions respectives. Le personnage de Madeleine provient donc d’un milieu relativement modeste, sans liens familiaux importants, tandis que celui d’Antoine vient d’une riche famille française. Les deux rêvent dès l’ouverture du film de changer le paysage politique français mais immédiatement on remarque que ce n’est pas pour les mêmes raisons : Antoine par opportunisme et soif de pouvoir tandis que Madeleine par conviction et envie d’aider ses compatriotes. Sans aller plus loin pour ne pas vous divulgâcher la suite du film, on peut remarquer plusieurs éléments : ce sont les personnages qui portent toute la structure du film, notamment en représentant deux visions antagonistes de la politique française contemporaine.

On remarque avec les deux archétypes de personnages que le cinéaste Sylvain Desclous tombe tout d’abord dans la carricature de figures politiques traditionnelles, pourtant en tant qu’habitué de la fiction et du documentaire politique il réussit à éviter les clichés. En enchainant les situations complexifiant la relation des deux protagonistes il va donc créer des personnages qui ne sont ni tout blanc ni tout noir, De grandes espérances laisse dans sa seconde partie place à un gris constant. Si le cinéaste évite justement le manichéisme c’est grâce à ses expériences précédentes, notamment le génial documentaire La campagne de France dans lequel il s’approchait au plus près de la réalité politique. Un autre atout dans sa manche pour construire des personnages crédibles et ambigus ce sont bien évidemment ses excellents acteurs, dont on retiendra ici la performance tangible de Rebecca Marder. L’actrice continue son ascension du cinéma français avec pas moins de neufs films depuis 2020, allant du très bon Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain jusqu’à l’original Mon crime de François Ozon, toujours en salles actuellement.

Rebecca vient de marder / © Ad Vitam

Ce qui est particulièrement intéressant avec De grandes espérances, c’est que le film possède une place logique dans la carrière de son auteur mais également dans celle de son interprète principale : Rebecca Marder. En effet depuis ses débuts elle accepte et choisit ses rôles selon une ligne directrice : des personnages forts qui luttent sans cesse contre un système voulant les écraser. Que ce soit dans Simone, le voyage d’un siècle ou encore Les gouts et les couleurs, ses choix de carrière sont particulièrement intéressants car ils témoignent d’une actrice engagée, pleines de convictions et d’espoirs. Une personnalité solaire que nous tenions donc à saluer dans ces lignes.

Grâce a l’interprétation diversifiée de ses protagonistes De grandes espérances réussit à tenir en haleine les spectateurs tout en se questionnant sans cesse sur les rouages de la politique française, et plus généralement sur l’humanité qui habite ses personnages. Des interrogations balayent des champs politiques, comme peut-on exercer ou avoir de bonnes intentions avec un passé douteux, jusqu’à des champs plus romanesques, notamment sur l’évolution d’un couple à travers les drames. Le film se complexifie sans cesse et rend son discours ambigu, ce qui est ici une qualité bienvenue, car représentative des doutes habitant ses personnages. La tension vient donc principalement de Madelaine et Antoine, personnages de cinéma imprévisibles donc redoutable à la fois sur le terrain politique et moral.

Benjamin l’a verte / © Ad Vitam

C’est quoi le cinéma politique français en 2023 ? Il faut bien avouer qu’on tient là un cinéma d’exception. Depuis maintenant plusieurs années les cinéastes français réalisent régulièrement des films ou des documentaires mettant en scène des personnalités politiques. Un regard important donc, non pas sur la politique mais sur les politiques, et qui au vu de l’actualité est un point de vue nécessaire. Qu’il soit cynique, élogieux, parodique, paranoïaque ou plus mitigé cet angle d’attaque que choisisse les réalisateurs français est révélateur à la fois d’une forme de défiance contre le pouvoir en place mais également d’une certaine fascination pour les figures politiques moderne. De grandes espérances fait donc partie de ce mouvement cinématographique mais également d’un renouveau réussi pour les thrillers paranoïaques, soit l’un des genres que nous apprécions le plus. Un film réjouissant dans ses ambitions et terrifiant dans sa manière de capter un réel cru et brutal. Nous avions de grandes espérances pour le nouveau long-métrage de Desclous, et nous avions bien raison.

De grandes espérances de Sylvain Desclous, 1h45, avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot – Au cinéma le 22 mars 2023.