[CRITIQUE] Dalva – L’amour, désespérément

Arrachée de son appartement, Dalva crie, hurle, pleure pour que son père ne soit pas emmené par les policiers. Elle agit comme une véritable petite adulte : elle est apprêtée de vêtements chics et de coiffures élégantes, elle porte un rouge à lèvre tape à l’œil et ses yeux sont lourdement maquillés. Pourtant, elle n’a que douze ans. Evoqué sans être jamais explicité, le film parle bel et bien de l’inceste et de ses conséquences désastreuses. Toujours est-il que ce n’est pas ce terrible sujet qui est au cœur de Dalva, mais bien la reconstruction de soi après de tels traumatismes.

Dalva est un film qui traite d’un sujet difficile, mais qui reste tout de même doux et bienveillant. Placée en foyer, le quotidien de la jeune fille sera chamboulé, laissant place à un mode de vie différent mais cependant plus sain auquel elle devra s’acclimater. Ces étapes qui nous semblent à nous, spectateur.rices, si banales ne le sont pas pour Dalva qui doit (ré)apprendre à vivre. En effet, la jeune fille est entièrement sous l’emprise de son père. La première partie du film dépeint cette situation d’abus dans laquelle Dalva est plongée depuis son plus jeune âge. Avec brio, Emmanuelle Nicot nous expose les conséquences de ce drame sur la vie de la préadolescente. Les premières secondes du film nous font comprendre à quel point cette étape est tranchante, arrachant Dalva à un mode de vie qu’elle considérait comme tout à fait convenu. Manipulée et abusée autant physiquement que psychiquement par son géniteur, Dalva ne comprend pas. Comment pourrait-elle comprendre ? N’est-ce pas aux personnes qui nous élèvent à qui nous donnons notre entière confiance ? Dalva n’a que douze ans, elle est une victime. Emmanuelle Nicot explore cette position sous tous ces prismes, retraçant autant d’étapes décisives dans l’évolution et la reconstruction d’une jeune fille en perte de repères : la fin d’un monde (d’un cauchemar) et le début d’un (re)nouveau.

© Caroline Guimbal/Helicotronc/Tripode Productions

La réalisatrice réussit admirablement à retracer le chemin de guérison d’enfants abusés, ou dont la vie a été saccagée. Le foyer leur donne une seconde chance, mais n’en reste pas moins un endroit qui englobe beaucoup de souffrance. Dalva devra apprendre à vivre à nouveau, malgré une acclimatation difficile. Jusqu’à présent prisonnière d’un cocon familial putride et malsain, elle devra dorénavant se frotter au monde extérieur, loin d’être sans défaut. Elle sera confrontée au jugement des autres enfants de sa classe, à des éducateur.trices parfois trop passif.ives, et à ses compagnons au sein du foyer qui, s’ils bizutent la jeune fille, seront tout de même un soutien de taille pour elle. Là-bas, tous  ont vécu des événements traumatisants, laissant chez chacun d’eux des plaies qui ne se refermeront jamais totalement. Là-bas, Dalva connaîtra une trajectoire “inversée”, partant de sa vie de (fausse) adulte à celle d’une (vraie) enfant. Nicot dépeint un lieu âpre où la tristesse et la souffrance se mêlent, mais qui dégage malgré tout une force de fraternité et de sororité qui fait chaud au cœur.  

Tout le film se construit autour du point de vue de Dalva. A l’instar de François Truffaut pour Les 400 coups ou d’Andreï Tarkovski pour L’enfance d’Ivan, Emmanuelle Nicot centre son récit à travers la conception du monde de cette jeune fille, à travers son histoire, son combat. Le film n’infantilise jamais Dalva, mais légitimise le statut d’enfant que son père lui avait volé, au fil des étapes que cette jeune adolescente traverse et devra encore traverser.

D’un point de vue technique, la photographie est agréable, charmante, et douce. Les plans sont lumineux, comme si le propos de ce long-métrage reposait sur l’idée de seconde chance et d’avenir radieux. Le découpage des plans est réfléchi, accentuant et insistant sur les gestes de Dalva lors des moments décisifs du film. Le sujet est traité en toute bienveillance, écartant toute spectacularisation de la souffrance, en mettant davantage l’accent sur la reconstruction de soi. Ce premier essai d’Emmanuelle Nicot instaure déjà un style tendre, mélodieux et prometteur. En conclusion, Dalva est le premier long-métrage de sa réalisatrice, mais également celui de ses deux actrices phares, Zelda Samson (Dalva) et Fanta Guirassy (Samia). D’ailleurs, je tiens à saluer la prestation de cette dernière, incarnant un personnage fort : celui d’une adolescente rebelle qui sera le principal soutien de Dalva. Samia est l’incarnation d’une jeune femme en colère, mais touchante, mettant remarquablement en lumière la douleur et la détresse que subissent des millions d’enfants placés en foyer.

Dalva d’Emmanuelle Nicot, 1h20, avec Zelda Samson, Alexis Manenti, Fanta Guirassy – Au cinéma le 22 mars 2023.

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