La dernière fois que nous avons entendu parler de Luca Guadagnino, c’était en 2020 pour sa mini-série We are who we are diffusée sur HBO. Entre temps, le projet Call me by your name 2 se précise, mettant Elio au centre du récit et excluant celui d’Oliver car pour rappel Armie Hammer – qui campe le rôle d’Oliver – a été accusé de cannibalisme par plusieurs femmes. Le hasard des choses fait que le réalisateur de Call me by your name revient en cette fin d’année avec une nouvelle histoire d’amour et de… cannibalisme. En espérant que leur histoire se termine mieux que celle de l’acteur.
Suite à un énième incident impliquant un doigt à moitié mangé, Maren et son père sont obligés de s’enfuir en pleine nuit avant l’arrivée des policiers. Installés dans une nouvelle maison mais toujours en marge de la société, la jeune fille qui a encore bien du mal à appréhender ses pulsions cannibales se retrouve seule du jour au lendemain, son père étant parti en lui laissant un peu d’argent et une cassette où il narre toute son histoire. Peu de temps après, elle fait la rencontre de Lee qui s’avère être un “mangeur” comme elle. À elleux deux, iels se mettent en route, sillonnant les états afin de trouver un sens à leur existence et à cet amour naissant.
Tout au long de sa carrière, Luca Guadagnino s’est attelé à filmer les relations amoureuses et les corps qui s’entremêlent que ce soit l’éveil sexuel dans Melissa P., la passion dans Amore, les corps dans Suspiria ou les couples dans A bigger splash et Call me by your name. Il n’est donc pas étonnant qu’il réunisse la passion dévorante des corps et des coeurs dans cette nouvelle oeuvre qui est sa première hors de son Italie natale. Nous voilà donc au coeur des années 80 dans l’Amérique profonde où il y a peu de place pour les parias. Jusque là, Maren était persuadée d’être seule, une anomalie dans le système. Mais lorsqu’elle fait la rencontre de Sully, un vieillard dans la même condition qu’elle (bien qu’un peu plus dérangé), elle comprend qu’elle est loin d’être seule et que c’est à leurs côtés qu’elle va apprendre à s’apprivoiser. Alors que le début du long-métrage met Maren dans une position de survie, c’est bien sa rencontre avec Lee qui va être le déclencheur de la suite de l’histoire, libérant ainsi ses pulsions cannibales. Les deux marginaux se trouvent une place dans ce monde à travers un road trip meurtrier. Là où Guadagnino filmait déjà des corps torturés et distorsionnés dans le remake de Suspiria, il pousse les curseurs encore plus loin avec des scènes beaucoup plus graphiques et sanglantes. La chair et son sang sont filmés sous toutes ses coutures, sans filtre. Les protagonistes croquent les corps à pleines dents, provoquant autant de dégoût que de fascination pour le/la spectateur·rice.
Même si le réalisateur exporte son histoire aux États-Unis, on retrouve dans Bones and all quelques similarités avec son précédent film – ce qui lui a d’ailleurs valu le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise. Ses longs travellings qui laissent le paysage s’imposer à nous, la douceur des échanges entre Lee et Maren et sa façon d’accompagner ses protagonistes avec une bande originale qui sent bon le road trip de vacances. Cette façon de filmer la vie et l’amour naissant contraste fortement avec la violence du récit mais malgré toute cette chair arrachées et ces litres de sang versés, Guadagnino insuffle une dimension romantique et parfois même dramatique qui touche à la grâce notamment dans sa dernière partie où la mort donne corps à la vie et à l’amour à bien des égards. Il est d’autant plus passionnant de voir dans Bones and all plusieurs grilles de lecture qui peuvent tout aussi bien se croisées entre métaphore de l’amour dévorant, du passage de l’âge adolescent à l’âge adulte ou encore des conflits intergénérationnels. Le réalisateur offre à son/sa spectateur·rice le libre choix d’y voir ce qu’iel a envie et ce à quoi iel se réfère le plus.
Car le cannibalisme n’est finalement qu’un arc narratif qui passe au second plan. Même s’il est nécessaire au couple pour survivre, la vraie question qui subsiste ici – et qui est universelle – est de savoir qui on est, comment s’intégrer dans un monde qui n’est pas le nôtre et comment aimer. Bones and all est avant tout une grande histoire d’amour, celle qui vous sauve, celle qui vous fait vivre et vous en apprend plus sur vous que n’importe quoi d’autre. Il est d’ailleurs assez drôle de voir la similarité entre une scène du film et celle de Call me by your name. Alors que dans ce dernier Michael Stuhlbarg faisait un long – et sublime – monologue sur la nécessité d’accepter la souffrance suite à une rupture à son fils (joué, on le rappelle, par Timothée Chalamet), on retrouve également dans ce film les deux acteurs autour du feu où Stuhlbarg se relance dans un monologue sur comment l’amour peut être libérateur et salvateur.
Outre Michael Stuhlbarg qui fait une apparition remarquable et toujours juste, Taylor Russell (lauréate du prix Marcello Mastroianni à la Mostra de Venise) est belle et bien celle qui capte la caméra de la première à la dernière minute. La jeune femme est éblouissante et à fleur de peau, tantôt fragile, déchaînée, amoureuse et désespérée. L’actrice dévoile une palette de jeu qui rivalise largement avec Timothée Chalamet qui, si on doit lui trouver un défaut, rejoue une partition déjà vue sous la houlette de Guadagnino. Il n’en reste pas moins convaincant et forme avec Taylor Russell un duo passionné et passionnant. Une mention spéciale à Mark Rylance dans un rôle ô combien surprenant et dérageant mais qui témoigne une nouvelle fois de son talent qui n’est plus à prouver.
Après l’excellent Call me by your name, Luca Guadagnino revient en forme avec une nouvelle oeuvre passionnante et déchirante. Bones and all, comme son nom l’indique, nous plonge jusqu’aux os dans un road trip amoureux et sanguinaire qui saura faire battre les coeurs à celleux qui se laissent emporter par la passion et la douceur de Maren et Lee.
⭐⭐⭐⭐
Note : 4 sur 5.Bones and all, au cinéma le 23 novembre 2022.