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[ANALYSE] Lolita à l’écran – Quand les adaptations amplifient la perversité

La sortie du tout nouveau Mean Girls, ou en version française, Lolita malgré moi, rappelle à nos esprits un phénomène phare du siècle dernier qui a fini par s’ancrer dans le vocabulaire des années 2000 : Lolita. Aussi problématique qu’il puisse être, le terme Lolita ou encore nymphette, s’est propagé comme la peste dans la bouche de tous, et notamment depuis ses adaptations cinématographiques. Mais comment a-t-on osé faire un film de Lolita ?

Auteur issu de l’aristocratie russe, Nabokov conquit le public intellectuel américain avec ses nouvelles et essais publiés dans la presse. Cependant, c’est seulement dans les années 50 que sa popularité monte en flèche avec son tout nouveau roman Lolita. Lolita au premier abord paraît comme scandaleux. Comment peut-on faire l’apologie de la pédophilie pendant 500 pages ? Comment les maisons d’édition ont-elles pu accepter de publier ça ? Bien que Nabokov ait connu de nombreux refus, son bijou a finalement pu être publié mais de manière assez cocasse ; passant par des éditeurs réputés pour publier de la pornographie. Le roman ne passe pas inaperçu et fut finalement interdit par les autorités, donnant naissance à l’Affaire Lolita au cœur de la presse qui défendit l’œuvre.

Vladimir Nabokov © The LIFE Picture Collection

Lolita c’est l’histoire d’un homme, Humbert Humbert, qui conte la façon dont il a été séduit par cette fille de 12 ans. Le livre suit la relation décrite comme amoureuse entre la pré-adolescente et le trentenaire, du point de vue de ce dernier. Loin d’être l’apologie de la pédophilie mais plutôt la dénonciation de celle-ci, Nabokov à travers sa plume, met en lumière la perversité du personnage. Nous nous retrouvons donc plongés dans les pensées obscènes d’un homme qui manipule et abuse d’une fillette en la décrivant comme sexuellement attirante et provocante.

Dans la mythologie, la nymphe représente « pour l’homme un objet sexuel particulier : idéalisé, désirant, facile et inconstant. » (Claude Allard, 2007). En ajoutant le suffixe -ette qui, infantilise le mot nymphe, Humbert crée une version enfantine de l’objet sexuel désiré. Réputé pour aussi être mi-scientifique en plus de mi-littéraire, au-delà de la fiction, l’auteur de l’œuvre ne choisit pas le terme nymphe par hasard. La nymphe de papillon connaît sa métamorphose tout comme la nymphette de Humbert, qui évolue en nymphe. L’écrivain nous plonge dès les prémices du livre dans les pensées du protagoniste en traitant de son premier amour. Expliquant qu’il était éperdument amoureux d’une Annabel lorsqu’ils avaient 13 ans, Humbert voit son idylle toute rose et fraîche se rompre soudainement par la mort de la jeune fille ; laissant derrière elle un cœur brisé mais surtout une frustration sexuelle chez le petit garçon qui n’a pu découvrir le plaisir érotique avec elle. Outre la référence à Annabel Lee d’Edgar Allan Poe pour le choix du nom de la jeune fille, celui de sa mère : Vanessa, n’est autre qu’une référence au Vanessa Atalanta, une espèce de papillon. C’est ainsi qu’au début du livre, alors qu’Humbert nous fait part de sa misérable justification concernant son attrait pour les enfants, le personnage cherche subtilement à nous faire comprendre qu’il a l’ambition de retrouver ce plaisir perdu d’une première fois avec une nymphette avant qu’elle ne se mue en nymphe adulte.

Malgré une mauvaise interprétation dans l’imaginaire collectif, le livre, par ses nombreuses références et sa fine écriture du narrateur interne, marque la frontière entre la fiction qui nous place dans l’esprit d’un homme malade et la réalité qui est tout autre. Néanmoins, c’est avec la sortie du film de Stanley Kubrick que tout bascule davantage et crée la figure populaire de Lolita. Projet ambitieux d’adapter une histoire aussi complexe, Kubrick fait d’abord appel à Nabokov pour l’écriture du scénario. Sur quelques désaccords, Nabokov n’écrit qu’une minime partie du film. La création de celui-ci se poursuit sur une trajectoire commerciale, l’affiche répond à l’attente du public : centré sur le visage d’une jeune fille à l’air aguicheur, sucette dans la bouche. Malgré la voix off et les placements de caméra qui sont censés immerger le spectateur dans la peau du pédophile, le film ne fait qu’accroître l’idée qu’Humbert est la victime et que Lolita la responsable. La représentation de Lolita se propage dans la culture populaire au point de toucher toutes les industries existantes et fait de la sexualisation des jeunes filles l’objet de consommations diverses. On le perçoit dans l’industrie vestimentaire avec la vente de vêtements et sous-vêtements pour enfant copiés sur les modèles adultes ou bien dans l’industrie musicale où émergent des chansons à double-sens chantées par des jeunes filles qui n’en n’ont pleinement conscience ; France Gall considérée comme la Lolita française et poupée de Serge Gainsbourg ou encore plus récemment Alizée et son célèbre morceau Moi… Lolita.

© Warner Bros

La seconde adaptation à l’écran est celle d’ Adrian Lyne. Beaucoup moins populaire (ce qui n’est pas plus mal au vu du résultat), Lyne a fait le choix, contrairement à Kubrick, de choisir une actrice plus jeune qui se rapproche du personnage littéraire mais aussi de multiplier les scènes explicites. Dans le film de Kubrick, le contact physique des deux acteurs est assez limité, on y retrouve principalement des baisers tandis que Lyne, pullule les scènes sexuelles. La différence entre ces deux films sortis à deux époques différentes s’explique justement en partie par « la progression de la culture pornographique dans la société de la fin de la décennie 1990 » (Pierrette Bouchard, 2007), puisqu’effectivement, parallèlement au cinéma, l’industrie pornographique croît au fil des décennies. Elle y place de manière centrale, des jeunes femmes à peine majeures en insistant sur leur jeunesse et virginité ou bien infantilise des femmes plus mûres avec des vêtements dédiés aux fillettes, tout en donnant un air innocent.

© Pathé Films

En mai 1975, sur le plateau de Bernard Pivot, Nabokov affirme que « Lolita n’est pas une jeune fille perverse. C’est une pauvre enfant que l’on débauche et dont les sens ne s’éveillent jamais sous les caresses de l’immonde monsieur Humbert. ». Conscient que la perversité dont est victime l’enfant ne cesse de grandir, l’écrivain tente tant bien que mal d’avertir le grand public de sa mésinterprétation. Pourtant, encore aujourd’hui, nombreux sont les artistes qui s’approprient cette image de Lolita, comme c’est le cas avec Lana Del Rey.

Bibliographie et sources

Allard, Claude. « « Lolitas », du mythe à la réalité », La lettre de l’enfance et de l’adolescence, vol. 68, no. 2, 2007, pp. 41-47.

Appel Alfred Jr., in The Annotated Lolita. By Vladimir Nabokov, New York, Vintage, 1991, p. 339-340.

Menegaldo Gilles, « Lolita et l’œuvre de Stanley Kubrick avant 1962 : héritage et filiation », Didier Machu et Taïna Tuhkunen, Roman de Vladimir Nabokov et film de Stanley Kubrick. Ellipses, 2009, pp. 135-151.

Paris, Hugues. « Les figures de l’adolescente tentatrice : de Baby Doll (Elia Kazan, 1956) à American Beauty (Sam Mendes, 1999) », Hugues Paris éd., L’adolescente et le cinéma. De Lolita à Twilight. Érès, 2013, pp. 35-48.

Poulin Richard. « Pornographisation : adocentrisme, juvénilisation des femmes et adultisation des filles », Hugues Paris éd., L’adolescente et le cinéma. De Lolita à Twilight. Érès, 2013, pp. 145-162.

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