[ANALYSE] La Communion – La grâce éternelle

2019 fut une année fructueuse pour le cinéma, conjuguant succès critiques et commerciaux, avec des œuvres telles que Parasite de Bong Joon-ho, Once Upon A Time in Hollywood de Tarantino ou encore Les Misérables, de Ladj Ly. Mais cette abondance de film en occulta d’autres et La communion, ou Boże Ciało en polonais (qui signifie littéralement Corpus Christi en polonais – d’où le titre anglais – soit le corps du christ en latin) fait parti de ces films reclus. Alors nommé aux oscars 2020 pour la catégorie du meilleur film étranger, le film de Jan Komasa repart de la cérémonie bredouille, écrasé par la fracture sociale que compose le sud-coréen Bong Joon-ho avec son Parasite

Prenant place dans un centre éducatif polonais, Komasa filme la délinquance, celle de son personnage principal, Daniel, 20 ans, qui travaille dans une menuiserie. À la suite d’une rencontre avec Martha, il se retrouve à mentir en prétendant être prêtre dans une église. S’enfonçant dans son mensonge, il est amené à remplacer le prêtre de la paroisse pendant que celui-ci est hospitalisé. Finira-t-il par être démasqué ? Finissant par se plaire à l’exercice, Daniel se permet même de moderniser la messe en la rendant plus humaine, le tout teinté d’une maladresse touchante. Komasa prend l’initiative de d’abord filmer son acteur avant de s’intéresser au décor. Car ce qui compte dans ce film, ce n’est finalement pas tant le lieu que l’homme, symboliquement mis à nu dès lors que celui-ci se revêt de sa paramentique verte, qui paradoxalement est censée représenter la parole divine. C’est par son imposture qu’il façonne ses vérités et découvre celles des autres, ici celles des habitants du village, qui prêchent la bonne parole quand bien même ceux-ci s’avèrent eux aussi malhonnête, bien loin de la bonté qu’on est naturellement tenté de leur prêter.

Corpus Christi a pour force ce questionnement permanent entre le bien et le mal qu’il met en exergue tout au long du film. Daniel ment sur sa fonction, tandis que les habitants, eux, trahissent leur aversion quant à la veuve d’un chauffeur ayant conduit à la mort de six personnes. Le pardon échappe à leur morale et en ce sens, ils s’opposent à l’inhumation du chauffeur, dont la mémoire est entachée par la haine et l’animosité. Qui est donc le plus honnête ? Le cadre tranche sur la question en s’attardant sur le regard de Bartosz Bielenia (Daniel), dont le bleu des yeux révèle une fragile sincérité. Daniel croit en sa capacité à faire le bien, comme le rappelle la couleur verte, qui l’entoure chaque fois qu’il confronte la vérité, sous toutes ses formes. Pour lui, tout est possible quand on a la foi, qui, comme il le dit lui-même, permet de mesurer son éloignement avec Dieu. Certes celui-ci a menti, mais jamais il n’a cessé de croire et d’honorer la parole divine, en ce sens il n’est en aucun cas jugé pour cela. Le véritable juge ici, c’est nous, spectateur avide de péripéties, ainsi pointe t-il le doigt sur la caméra et nous rappelle notre plus grand crime, celui de juger sans connaître. En vérité, peu d’informations nous sont délivrées sur Daniel hormis sa condition de jeune délinquant, or ce qui compte, ce n’est pas d’où l’on vient, mais où l’on va, rappelle le long-métrage. 

Et Daniel va vers la grâce, il tente au mieux de faire le bien, se référant au tout-puissant pour juger ce qui est bon ou mauvais, mais se permettant cependant d’y retirer ses fioritures propres aux institutions bibliques. Il apporte un nouveau regard sur le péché, comme nous le montre cette scène très réussie de confessionnal dans laquelle une mère avoue frapper son fils et que celui-ci lui propose comme pénitence d’aller faire du vélo avec son enfant. Portant lui-même sa croix depuis le début du film, il s’écarte de tout préjugé et tente de ne jamais se laisser emporter par le vague des passions. Pour lui, notre humanité doit avant tout nous guider dans nos actions, et en ce sens nous devons continuer de cultiver notre rapport aux autres, nonobstant leurs failles. Pour filmer cette humanité, Komasa se réfère certes aux paroissiens, mais se permet d’ajouter une romance pour son personnage principal, qui fait donc face lui aussi au sentiment le plus pur mais aussi le plus violent qu’est celui de l’amour. Bien qu’attendue, cette idylle de courte durée permet de rappeler qu’il est lui aussi un homme avant d’être ce prétendu prêtre. Le film insistant sur l’idée que durant ces homélies, c’est Dieu qui le guide, écrasé par son portrait qui figure en arrière-plan, au-dessus du jeune homme filmé en contre-plongée. Daniel doit donc tout à Dieu, sans lui il est perdu est n’est qu’un pécheur de plus.

Comme une bombe à retardement, les plans fixes dont est principalement constitué le film soulignent ce calme précédant la tempête (ici, la potentielle découverte de la supercherie de Daniel). De plus, le calme est aussi une façon symbolique pour celui qui est regardé (mais aussi pour nous, spectateur) de dialoguer avec Dieu, comme il nous l’est annoncé “le silence peut nous être prière”. Corpus Christi invite en ce sens non pas à croire, mais à échanger avec le divin. Loin du film de propagande ou dénonciateur, nous sommes invités à écouter et échanger avec les personnages, confrontant ainsi nos idéaux avec les leurs. Tout est accalmie, à contrario avec la dernière séquence du long métrage, plus chaotique tant du point de vue de la réalisation que du point de vue scénaristique ; nous revenons à une forme de brutalité qui nous était présentée en ouverture. L’évolution est impossible, la symétrie des plans nous rappelait cette droiture que s’imposait Daniel quand désormais, nous revenons sur des plans en caméra portées, déséquilibrés et volontairement brutaux. Le film fait marche arrière et retourne à cette loi de la jungle. Seulement, ce retour à la case départ peut aussi être vu comme positif : sortant de cette expérience quelque peu marginale, Daniel en ressort plus que tout grandi, sa rencontre mystique l’a assagi.

Un nouveau jour se lève, mais cette fois-ci, la grâce se tient de son côté, précisément parce qu’elle est éternelle pour ceux qui croient, nonobstant leur histoire.

La Communion (Corpus Christi), 1h 55min, drame de Jan Komasa avec Bartosz Bielenia, Eliza Rycembel, Aleksandra Konieczna

Disponible en VOD et DVD.

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