Et une adaptation de Stephen King de plus ! Cette fois-ci, le réalisateur Rob Savage (Host et Dashcam) s’attaque à une nouvelle du maitre de l’horreur. Le Croque-Mitaine, à ne pas confondre avec le mange-gants, est paru dans le recueil Danse Macabre que je vous recommande mille fois. C’est une histoire courte puissante, durant laquelle un patient raconte ses malheurs à son psy. Avec énormément de hors-champ, King laisse entrevoir la présence d’un monstre terrifiant : le fameux dévoreur de moufles. La difficulté d’une adaptation cinématographique se remarque assez vite : la nouvelle est très courte, et ne peut donc que faire l’objet d’un court-métrage. Mais les deux scénaristes du film, Scott Beck et Bryan Woods (Sans un Bruit), réussissent l’exploit d’en faire une adaptation intéressante.
Pour simplifier, et sans vous spoiler les éléments majeurs, le long-métrage se divise en trois actes principaux. Le premier acte (qui adapte donc la célèbre nouvelle) présente le contexte morbide et les personnages endeuillés. Dans le second acte, la présence de la créature se fait ressentir, puis vient enfin le troisième acte, typique des films de monstres, avec l’affrontement. La structure est classique pour les films du genre et semble donc répondre à des exigences évidentes. Montée en tension, sursauts, personnages aux réactions idiotes, thématique du deuil et même une fin qui laisse présager une suite. Tout, que ce soit la mise en scène ou le scénario, semble déjà vu. Pourtant, il y a une forme d’exploit à avoir tiré un long-métrage d’une histoire aussi courte.
Les meilleurs éléments du film proviennent de l’univers de Stephen King, mais pas de cette nouvelle en particulier. Une fois l’acte d’introduction utilisé, les scénaristes ont donc dû ajouter d’autres éléments pour en faire un long-métrage complet. Ils ont puisé leurs idées dans d’autres œuvres de l’auteur afin de créer un film fidèle à son univers thématique. Ainsi, la nouvelle, qui se concentre sur deux adultes parlant d’enfants, glisse vers un point de vue inverse dans le long-métrage. On quitte de plus en plus le point de vue des adultes pour aborder celui des deux sœurs mineures. Une idée intéressante qui rappelle tout un tas d’œuvres “kingdiennes“. Ça, Carrie, Shining ou encore L’institut, plus récemment, sont tous des romans de Stephen King abordant l’enfance avec beaucoup d’ingéniosité. Le Croque-Mitaine reprend d’ailleurs une autre idée terrifiante de Ça : le mal serait immortel. La monstruosité tue des enfants depuis des temps immémoriaux, ce qui donne une autre envergure à la menace. Le cinéaste Rob Savage puise également des idées dans les romans récents de King, comme The Outsider. Il reprend l’aspect mimétique de la créature, ainsi que son appétit pour les familles en souffrance. L’idée d’un monstre dévoreur de sentiments est également présente.
Et c’est grâce à cette dernière idée que la magie opère. Grâce aux apports de l’œuvre de l’auteur, le scénario classique devient bien plus vaste. Il reste simple, mais laisse pourtant constamment des portes ouvertes sur un univers beaucoup plus étendu. Le Croque-Mitaine pourrait presque être qualifié de lovecraftien dans sa volonté de mythifier sa créature, un monstre qui se devine à travers les thématiques pessimistes ou les décors conçus pour instaurer un malaise constant. Que ce soit le cabinet du psy au cœur de la maison ou le sous-sol rempli d’objets morbides, l’ambiance doit beaucoup au travail d’Eli Born (To Be Alive), l’excellent directeur de la photographie du film. Il transforme ce simple film d’horreur en une sorte de jeu avec le spectateur, qui se retrouve à scruter l’obscurité pour tenter d’apercevoir la créature. Parfois, cela se fait à ses dépens, car si vous la voyez, cela signifie qu’elle vous observe également. Peut-être même à l’instant où vous lisez ces lignes.
C’est quoi le cinéma de Rob Savage ? Ce jeune réalisateur nous permet de garder espoir dans le cinéma d’horreur britannique. En quelques films, il s’est imposé comme l’un des talents à suivre. Il utilise ses références, comme La Maison du Diable de Wise et Les Innocents de Clayton, avec parcimonie, sans tomber dans la parodie. En prenant le genre au sérieux, en l’occurrence le mythe enfantin du Croque-Mitaine, il renouvelle à sa manière les “petits” films d’horreur classiques. Bien que ce nouveau long-métrage ne deviendra pas un film de genre culte, on lui souhaite un joli succès.
Le Croque-mitaine de Rob Savage, 1h39, avec Chris Messina, Sophie Thatcher, Vivien Lyra Blair – Au cinéma le 31 mai 2023