[RETROSPECTIVE] Wendy et Lucy – Un amour simple

Wendy (Michelle Williams) et sa chienne Lucy sont en route pour l’Alaska. La voiture tombe en panne, Lucy disparait. Kelly Reichardt continue d’explorer le quotidien de figures marginales et filme cette fois plus précisément leur réalité sociale.

Les motivations de Wendy sont claires : aller en Alaska pour chercher du travail et retrouver Lucy. Ces seules informations la caractérisent, son passé où l’origine de sa précarité ne sont jamais abordés. Les notes qu’elle écrit dans son carnet indiquent qu’elle a parcouru les États-Unis, de l’Illinois jusqu’à Wilsonville en Oregon, dans des trajets de plusieurs centaines de kilomètres, mais le film n’est cependant pas un road movie et se concentre davantage sur les différentes situations auxquelles va être confronté Wendy dès lors qu’elle se retrouve immobilisée. Le choix de resserrer l’espace dans lequel évolue Wendy permet de montrer en détails la réalité de son quotidien, les difficultés matérielles, concrètes qu’elle rencontre qui reposent principalement sur son manque de moyen. On la voit ramasser des canettes pour gagner un peu d’argent, dormir dans la forêt, se laver dans des toilettes publiques, tenter de voler dans un supermarché avant de se faire emprisonner.  

Wendy note également les sommes qu’elle dépense à chaque étape de son parcours, ce qui établit que ses déplacements et sa vie sont déterminés par sa situation économique. Sa pauvreté restreint ses mouvements à plusieurs reprises : un vigile (Walter Dalton) lui indique qu’elle ne peut pas rester sur un parking, elle manque d’argent pour réparer sa voiture et reprendre la route et est séparée de Lucy par un grillage délimitant une propriété privée en fin de film.

© Epicentre Films

La pauvreté de Wendy est un élément central du film, essentiel dans son dénouement émotionnel en entrainant la séparation des deux amies. La précarité touche aussi les personnages qu’elle croise à Wilsonville, les petits travailleurs, un vagabond dans une forêt (Larry Fessenden, Lee dans River of Grass1994) ou la communauté de marginaux qui se réunit autour d’un feu dont fait partie Icky (Will Oldham, Kurt dans Old Joy2006) qui la conseille amicalement. Kelly Reichardt et son coscénariste Jonathan Raymond, auteur de la nouvelle « Train choir » dont est adapté le film, furent marqués par la catastrophe de l’ouragan Katrina qui dévasta plusieurs états du Sud. La Nouvelle-Orléans en Louisiane, une des villes les plus pauvres du pays, fut particulièrement touché, ses habitants reçurent très peu d’aide de l’Etat et furent livrés à eux-mêmes. Ce drame nourrit l’écriture du scénario, l’intrigue se déroule dans l’Oregon, mais cette population délaissée et en situation de précarité est au cœur du film.  

Plusieurs facteurs entrainant ce retrait de la société sont abordés : « You can’t get a job without an address anyway… or a phone” dit Wendy, ce à quoi le vigile répond « You can’t get an address without an address. You can’t get a job without a job. It’s all fixed.” Wendy ne croise personne dans les rues de Wilsonville, une absence dont l’origine est là aussi économique, comme l’explique le vigile : « There used to be a mill. But that’s been closed a long time now. I don’t know what the people do all day.” Le film articule les différents mécanismes provoquant l’exclusion d’une population qui ne peut s’adapter au développement économique de l’Amérique contemporaine.

Cette population écartée de la société ne dialogue et ne rencontre pas avec celle qui l’a intégrée, Wendy tente de converser au téléphone avec sa sœur, en couple et propriétaire d’un appartement, mais l’échange tourne court, cette dernière complètement insensible à la situation de Wendy. La population aisée de Wilsonville n’apparait pas, mais est suggérée par des jardins, voitures et quartiers résidentiels. Wendy se retrouve souvent isolée dans un environnement envahi par des symboles de la société de consommation et de la force économique du pays (centres commerciaux, publicité, quartiers résidentiels).

© Epicentre Films

L’amour de Wendy pour sa chienne se heurte aux conséquences de sa pauvreté : « if a person can’t afford dog food, they shouldn’t have a dog » lui dit un employé du supermarché dans lequel elle tente de voler pour nourrir Lucy. Un traveling montrant les deux amies jouer joyeusement dans la nature répond à un mouvement de caméra similaire qui filme des chiens enfermés et isolés dans une fourrière – un écho qui démontre comment la relation humain-animal peut se retrouver dévitalisée. La cruauté et l’organisation d’un monde régit par des rapports économiques contraignent la relation de Wendy et Lucy.

Le quotidien de Wendy constitue un mode de vie alternatif et indépendant, elle mène sa vie de nomade, nourrit Lucy dans la rue, dort en pleine nature, s’organise et voyage seule, connait parfaitement le fonctionnement de sa voiture et se dévoue à des objectifs qu’elle choisit. Elle n’est pas pour autant coupée du monde, on la voit chercher un travail et subir les conséquences de sa pauvreté. Les différentes figures qu’elle rencontre s’inscrivent elles-aussi en rupture avec la société, chacune de manière plus au moins heureuse : Icky raconte gaiement avoir détruit un véhicule aux dépens de l’entreprise pour laquelle il travaillait, le vagabond de la forêt déblatère des propos abstraits et souffre de sa précarité. L’amour de Wendy pour Lucy est le véritable moteur de l’action du film, à l’origine de tout ce qu’elle entreprend, du déchirement final et constitue en lui-même une raison de vivre pour Wendy.

Michelle Williams joue le personnage de Wendy avec grande justesse pour sa première apparition dans le cinéma de Kelly Reichardt. L’altérité, souvent au cœur des films de la cinéaste, trouve une de ses plus belles expressions dans la beauté et la sincérité de l’amour de Wendy pour Lucy.

Wendy et Lucy de Kelly Reichardt, 1h20, avec Michelle Williams, Walter Dalton, Will Patton – Sorti au cinéma le 8 Avril 2009.

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