Les dernières productions de Pixar Animation Studios laissent nombre de spectateurs dubitatifs, et il n’a jamais été aussi difficile de trouver l’unanimité critique. S’il faut expliquer le secret de la réussite d’une saga telle que Toy Story, comment ne pas rappeler la portée transgénérationnelle du propos originellement pensé par John Lasseter ? Parler autant à l’enfant qu’à l’adulte.
A la suite du court-métrage Tin Toy (1988), le réalisateur est convaincu qu’il faut étendre le projet d’une histoire du point de vue de jouets à un moyen métrage. Sous l’impulsion du producteur Jeffrey Katzenberg, elle devient propre à celle d’un long métrage. Lasseter y voit l’opportunité d’y développer un buddy movie où deux jouets rivaux se confrontent aux péripéties relevant du quotidien un peu chaotique des humains. Les animateurs derrière la conception de Toy Story (1995) décident déjà d’y inclure des éléments de leurs vies, allant jusqu’à puiser de leurs propres expériences. L’ancien employé Sid désassemblant ses jouets lorsqu’il était enfant devient un personnage à part entière en animation 3D.
Dès le premier film de ce qui n’était pas encore une saga (conçu comme un film unique), l’équipe créative ressent le besoin de parler d’elle, et cela est retranscrit par l’écriture des personnages consistant à confondre le rapport entre l’adulte et l’enfant. Les jouets que sont Woody et Buzz ne sont pas plus enfants qu’adultes psychologiquement, bien au contraire ils sont spectateurs de la transmission générationnelle des valeurs humaines. Vivant en secret, ils agissent en recul d’Andy qui cultive leur présence sans se douter qu’ils peuvent ressentir les choses. L’introduction appelle ainsi à la quiétude sous-jacente des jouets dans la chambre recluse du monde bien dangereux qui s’anime derrière eux. Caractérisant les émotions de ses personnages tels des humains, John Lasseter les anthropomorphise tous à la manière de ce qui se fera habituellement ensuite pour les autres productions de Pixar. Les jouets sont des bébés ne sachant pas encore ce que c’est de vivre. Strange things are happening to them.
La fin du générique permet la transition du point de vue à l’échelle humaine à celui des jouets, où un paradoxe peut déjà s’exprimer : vivre ou se laisser mourir ?
Pendant l’introduction, Andy fait voyager son meilleur ami qu’est Woody alors qu’il attend avec impatience la fête de son anniversaire organisée par sa mère. Déjà dans la peau du cowboy solitaire à la première personne, le spectateur est convié à apprécier le décor du foyer familial. C’est bien ce jeune enfant qui fait balader son jouet, balancé dans tous les sens, heureux des moments passés avec lui. Le rapport est automatique entre les deux personnages : Woody aime Andy comme Andy l’aime alors même qu’il ne peut s’animer devant lui. L’enfant s’incarne dans Toy Story comme véritable parent du jouet. Il lui donne des leçons de vie de façon inconsciente, le faisant grandir même s’il finit irrémédiablement par s’en séparer pour mener à bien sa propre vie, ici en vacances.
Ses deux jouets préférés prennent conscience qu’ils ne sont pas protégés du monde qui les entoure lorsqu’ils mettent les pieds au dehors du cocon familial. You are a toy, you can’t fly, dit Woody à Buzz. La grande aventure consistera à revenir sain et sauf dans la chambre, parce qu’il ne faut ni blesser émotionnellement Andy, en enfant responsable, et rester sauf à l’abri des dangers multiples extérieurs du monde humain. L’écriture brille avant tout par le fait qu’il soit impossible pour Andy de découvrir que ses jouets vivent autant que lui : le jouet ne peut être l’enfant et le parent d’un humain. Parce qu’au fond, le jeune Andy n’est pas plus responsable que Sid. L’enfant livré à lui-même est horrifié en comprenant qu’il a fait du mal aux jouets, bien plus à l’idée de constater les dégâts qu’il a commis et les répercussions sur lui-même que la découverte en tant que telle de l’animation des jouets.
L’identité de la saga est bien ancrée, l’introspection de l’étourdi Andy se fait par son alter ego Woody qui apprend de ses erreurs. Chez Sid, les jouets sont déformés et ne peuvent pas agir dans leur environnement. Similairement à lui, ils ne sont pas encore éduqués pour s’intégrer en société et doivent briser les interdits comme les Freaks (1932) de Tod Browning pour exister. Se livrer en plein jour, et apprendre le vivre-ensemble…
Pas si facile d’être humain !
Toy Story de John Lasseter, 1h17, avec Tom Hanks, Tim Allen, Don Rickles – Sorti au cinéma le 27 mars 1996