Alors que la série Succession touche à sa fin, nous souhaitons revenir sur ce chef-d’œuvre du petit écran. La réussite de la série tient en grande partie à son excellente narration et à l’écriture des personnages. Les créateurs sont restés fidèles aux protagonistes, ne ménageant pas les spectateurs, afin de réaliser des évolutions captivantes. Cependant, l’un des autres atouts de Succession réside dans ses décors et lieux de tournage. Analysons ensemble l’un des éléments les plus visibles, et pourtant les moins mis en avant.

L’histoire se déroule aux États-Unis, alors qu’une famille se déchire pour l’héritage futur de leur père, dirigeant d’un important conglomérat médiatique. Succession se situe donc à mi-chemin entre un contexte réaliste et des éléments fictifs. Cette forme de “fiction réaliste” se déroule donc dans des environnements rappelant les cercles ultrariches américains. Les premières raisons sont évidentes : immerger rapidement le spectateur et l’impressionner en mettant en évidence la richesse et le pouvoir de la famille Roy. Tout au long des quatre saisons, le créateur de la série, Jesse Armstrong, multiplie les changements de lieux d’action. Les grandes métropoles reviennent régulièrement, servant de décors évidents pour situer les personnages et les encadrer. Cependant, les environnements qui nous intéressent le plus sont ceux des événements spéciaux, lorsque la famille Roy se risque à l’extérieur. Que ce soit pour un mariage, une partie de chasse, des vacances ou une conférence élitiste, les Roy s’aventurent régulièrement aux quatre coins du monde. Et malgré la diversité de ces lieux, ils partagent des points communs intéressants.

Que ce soit le château britannique du mariage de la première saison, le yacht de la deuxième saison ou encore la villa italienne de la troisième saison, tous ces lieux en disent long sur les Roy. Ce sont des environnements isolés du reste du monde, où les riches ne fréquentent que d’autres riches, se tenant à l’écart des gens ordinaires. Nos protagonistes sont donc des personnages isolés, qui connaissent peu les réalités de la vie quotidienne. Ils se trouvent à mi-chemin entre une vision fictive du monde, qu’ils ne perçoivent qu’à travers des fragments médiatiques, et leur propre réalité déformée. Ce mélange de fiction réaliste se retrouve également dans les décors, qui sont fictivement aménagés pour refléter les goûts du patriarche Roy, omniprésent jusque dans les moindres détails décoratifs. Ainsi, tous les environnements sont comme des plateaux de cinéma fictifs, mais ils entretiennent constamment une relation étrange avec la réalité.

Revenons à l’exemple précédent, le château anglais de la première saison. Il est décoré de manière à révéler beaucoup de choses sur les personnages fictifs tout en s’inscrivant dans un cadre réel. Le tournage a eu lieu au château d’Eastnor, connu pour ses somptueux mariages destinés aux riches en quête d’excentricité, ce qui correspond exactement à l’univers de la série. La série accorde donc une grande importance à paraître le plus réaliste possible afin de dépeindre le train de vie extravagant des super-riches. Dans la deuxième saison, un épisode entier se déroule sur le yacht de la famille Roy. Ici, la métaphore de l’isolement est évidente, mais il y a toujours cette volonté de montrer, voire de dénoncer, ces lieux de richesse. Le tournage a eu lieu sur le Solandge, un navire appartenant au milliardaire et prince saoudien Moukrine ben Abdelaziz. D’ailleurs, Son Altesse accepte de louer son bateau pour la modique somme d’un million d’euros par semaine. HBO a dû débourser une somme considérable pour pénétrer dans le monde des ultra-riches. L’argent reste le maître à bord, que ce soit dans la fiction ou dans notre monde réel.

Restons dans la deuxième saison de Succession, plus précisément dans l’épisode se déroulant en Hongrie. Dans cet épisode, une partie de la famille se retrouve dans un manoir du patriarche, situé en Europe de l’Est, pour une partie de chasse inhabituelle. Une fois de plus, la frontière entre fiction et réalité est floue. Le lieu de tournage est effectivement un manoir construit par un milliardaire, Otto Hermann Khan, mais aux États-Unis. D’ailleurs, vous connaissez probablement cet endroit : il est déjà apparu au cinéma dans le film Citizen Kane, symbolisant une certaine opulence. La série s’inscrit continuellement dans un héritage cinématographique représentant les riches américains, soulignant ainsi leur condition figée. Ils sont à la fois isolés du monde et du temps.

C’est quoi le cinéma pour Stephen Carter ? Le chef décorateur de Succession s’est imposé comme l’un des maîtres de son métier au cours d’une quarantaine d’épisodes. Il a réussi à pénétrer au cœur des pratiques des élites américaines, nous entraînant avec lui. En privilégiant une approche réaliste en utilisant des lieux préexistants, il a dû relever de nombreux défis. En effet, créer des environnements fictifs sans altérer ni endommager les lieux appartenant aux ultrariches n’est pas une tâche facile. Pensons notamment à son travail remarquable dans le septième épisode de la deuxième saison, qui se déroule dans le sud des États-Unis, dans une villa appartenant à un certain Jochem Zeitz qui n’est pas très à l’aise avec les changements apportés à son intérieur. Son nom peut ne pas vous être familier, mais vous connaissez certainement certaines de ses entreprises comme Puma et Harley-Davidson. Stephen Carter a toujours su faire preuve d’habileté et d’originalité. Il est l’une des principales raisons du succès de Succession. Alors que la dernière saison touche à sa fin cette semaine, nous tenions à rendre hommage à cette série aussi riche que ses personnages.

Succession créée par Jesse Armstrong, 4 saisons, 60 min, avec Brian Cox, Kieran Culkin, Jeremy Strong – Sur Prime Vidéo