Le FIFAM possède une section coups de cœur, qui remet en avant des films précédemment sortis, mais avec un regard aujourd’hui différent. C’est le cas du film Le Genou d’Ahed réalisé par Nadav Lapid, cinéaste avec qui nous avons pu échanger en fin de séance. Mais tout d’abord un peu de mise en contexte autour du film. Film semi-autobiographique, il commence donc par parler d’un cinéaste (il s’appelle Y, ce qui en hébreu rime et résonne avec Nadav) qui souhaite réaliser une œuvre sur Ahed Tamini, une militante palestinienne. Cette dernière est arrêtée par les autorités israéliennes à l’age de 16 ans pour avoir gifler un militaire. Un député israélien de l’époque (aujourd’hui le ministre des Finances du pays) conseille alors de lui tirer une balle dans le genou pour qu’elle ne puisse plus manifester. Actuellement, en novembre 2023, la militante vient à nouveau d’être arrêter par les autorités, un film qui devient alors d’autant plus nécessaire.
Le long-métrage se concentre sur ce réalisateur-protagoniste qui part présenter un film dans le désert. Une prestation qui ne lui sera rémunérée que s’il accepte de signer un document du Ministère de la Culture indiquant les sujets qu’il traite en débat, véritable objet de censure actuellement en marche en Israël. Nadav Lapid nous confirme, en fin de séance, que tout cela lui est véritablement arrivé, c’est donc un film qui témoigne d’une véritable urgence (il est écrit en 3 semaines). Il a besoin de le sortir pour témoigner de la mort morale de son pays, qui fonce tout droit dans un système de censure et de destruction artistique. Ce deuil dans le film fait référence, à la même période par le cinéaste, à celui de sa mère emportée par le cancer, un double-enjeu politique et intime qui renforce chaque séquence.
Lors de sa projection à Cannes le gouvernement israélien, qui avait refusé de financer le film, change soudainement d’avis et lui octroie une petite aide financière. De nombreux journalistes du pays s’en prennent à Nadav Lapid en l’accusant d’attaquer ses propres producteurs, ce à quoi il répond : « il faut mordre la main qui nous nourrit ». Maintenant que la polémique est passée depuis plusieurs années, le réalisateur est revenu sur les nombreuses menaces de morts reçues, entre autres problèmes, et il confirme à nouveau cette phrase. Selon lui, la censure passe par de nombreux moyens officiels (notamment ce fameux formulaire du film) mais aussi officieux avec ces dons d’argent poussant à l’auto-censure. Pourtant, en tant qu’artiste, il refuse d’être un ambassadeur du pays. Il est Israélien mais ne doit pas pour autant défendre toute la politique de ce régime simplement car il est né ici. C’est d’ailleurs pour cela que son film est très violent par ses propos mais également sur sa forme comme nous allons le voir avec deux éléments.
Premièrement, le choix du désert comme lieu principal. Aux Etats-Unis le désert est synonyme de mal et de violence, mais ici la symbolique est différente. Le désert ajoute un immense enjeu biblique au film, c’est le territoire des prophètes et celui des miracles. Et encore une fois, c’est le lieu ou l’action s’est véritablement passée, ce qui rajoute à l’autobiographie. C’est un lieu de moins en moins montré dans le cinéma politique israélien (du fait de la difficulté des financements dans cette zone) alors il y a déjà quelque chose d’audacieux dans ce choix géographique. Deuxièmement, il y a bien sûr ces mouvements de caméras très rapides, récompensés à Cannes par le prix du Jury. Leur signification est évidente, faire ressentir les émotions du protagoniste : tout ce que l’on voit n’est que son point de vue personnel et intime. Une mise en scène originale, qui encore une fois vient poser des questions, faire réfléchir et donc perturber. Nadav Lapid est un cinéaste perturbateur, et il peut en être fier.
C’est quoi le cinéma de Nadav Lapid ? Le réalisateur estime que tout ses sujets ont rapport de près ou de loin à sa terre natale. Et même si pour ses prochains films il aimerait changer cela, ce n’est pas pour tout de suite. La situation est urgente et pour certains réalisateurs, le cinéma est une arme. Filmer devient un acte de survie.
Le Genou d’Ahed de Nadav Lapid, 1h50, avec Avshalom Pollak, Nur Fibak, Lidor Ederi – Au cinéma le 15 septembre 2021