Nous sommes en septembre 2023, et c’est la sortie du cinquième long-métrage de Yann Gozlan, le réalisateur du récent Boîte Noire, qui a connu une reconnaissance particulièrement enthousiaste, surtout auprès du public.
Son dernier film s’intitule Visions, et contrairement aux insinuations que l’on peut entendre ici et là, son intrigue est remarquablement simple, voire simpliste : une femme du nom d’Estelle est pilote de ligne et mène une existence paisible avec son mari, non loin de la plage, lorsqu’elle rentre de ses vols. Cependant, un jour, sur son lieu de travail, celle-ci croise une ancienne amante à elle, Ana. À partir de ce moment, ce qui semblait être une réunion plutôt banale prend une tournure étonnante, se transformant en une série d’illusions et de rêves malsains, voire trompeurs et cauchemardesques.
C’est assez succinct, mais c’est pratiquement tout ce qu’il y a à dire.
Le film peut pratiquement se résumer à sa séquence d’ouverture, qui dépeint le personnage principal, interprété par Diane Kruger, en quelques plans : elle a peur des méduses, nage pour tuer le temps, et ressent tous les désirs du monde, sauf celui d’être avec son mari. Ces thèmes sont à peine effleurés, voire évités, pour céder la place à ce que le réalisateur semble vouloir exprimer.
À ce sujet, que peut-on dire de la mise en scène ?
Il semble que Yann Gozlan ait conservé son talent de technicien brillant, mais qu’il ne parvienne pas à transcender son sujet ni à lui donner une ampleur thématique suffisamment marquante pour qu’il en ressorte une quelconque substance. Le film est comme un papier cadeau brillant qui cache à la fois tout et rien. D’un côté, son esthétique, parfois très soignée, domine excessivement et impose un rythme artificiel aux rebondissements scénaristiques par le montage ; de l’autre, ce qu’elle dissimule est finalement trop mince pour être véritablement ambigu et complexe, comme le projet le laissait espérer. Le film préfère s’embourber rapidement dans une répétition formelle, alors que l’on sait que Gozlan maîtrise l’art du classicisme et qu’il peut tout aussi bien s’effacer derrière son sujet que recourir à des idées visuelles authentiques pour servir son récit. Cependant, ici, on assiste plutôt à des refrains astucieux mêlant des symboles pompeux.
Dans Visions, l’intention semble être de donner l’impression que le film explore tous les aspects de son sujet, alors qu’en réalité, il n’a pas grand-chose à dire ni sur le monde ni sur ses personnages. Les clichés s’accumulent progressivement, et les acteurs n’ont pas l’occasion de démontrer l’étendue de leur jeu. Le personnage de Marta Nieto, qui semble tout droit sorti d’une série Netflix, irrite autant qu’il devient transparent, n’apportant rien d’intéressant ni de symbolique intrigante. Il s’agit d’une énième variation d’un cinéma qui a déjà été exploré dans des centaines de films, très influencé par Hollywood et déjà excellemment traité par des réalisateurs tels que Paul Verhoeven (la musique de Visions rappelle inévitablement Basic Instinct), mais qui, ici, se révèle être frappé d’insignifiance.
Tous les éléments de l’intrigue sont mis en évidence, et le conflit entre le mari et la femme est abordé maintes et maintes fois, ailleurs et même dans le cinéma français, de manière plus convaincante. Diane Kruger, dès les premières minutes, révèle que sa relation de couple n’a rien de sain, et du point de vue de son personnage, elle est même toxique. Mathieu Kassovitz, quant à lui, incarne un personnage plus froid que le Groenland et la Finlande réunis, malgré son intention affichée d’être protecteur et attentionné (ce qui devient très clairement malsain dans le film, ce que le spectateur peut rapidement comprendre).
Le pire, dans tout cela, c’est que le réalisateur semble penser que nous n’avons pas encore saisi les ressorts narratifs, et ce jusqu’à la fin. Estelle trompe son mari parce qu’elle subit inconsciemment (bien qu’elle en ait conscience) sa toxicité, et elle réalise que son autre aventure la trompe aussi, mais cette fois-ci, c’est justifié ! Et c’est tout. Rien de plus. Le film s’échine à embrouiller son intrigue avec des énigmes futiles, ce que semble accomplir Yann Gozlan. Inutile de mentionner la fin, rapide et dénuée de sens, même si l’on ressent que le cinéma du réalisateur, à ce moment-là, fourmille d’idées mais ne parvient jamais à les exploiter.
Cela témoigne clairement du fait que le dernier film de Gozlan manque d’impact, de résonance, voire d’intérêt en tant que projet cinématographique abouti. Visions est un long-métrage daté et raté, auquel on aurait pu légitimement demander plus qu’une simple reprise peu convaincante de nos Hitchcock et De Palma préférés. C’est une œuvre étrangement séduisante mais agaçante et prétentieuse.
Visions de Yann Gozlan, 2h03, avec Diane Kruger, Mathieu Kassovitz et Marta Nieto – Au cinéma le 6 septembre 2023
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