Il est incontestable que Hollywood et les studios américains éprouvent des difficultés à se réinventer, à concevoir des blockbusters imprégnés de nouveauté et d’originalité. Les récents triomphes du grand écran en témoignent : suites interminables, adaptations de franchises vidéoludiques, littéraires, ou même inspirées de parcs d’attractions. S’y ajoutent les legacyquels, les reboots et autres résurrections. Cette tendance révèle une absence flagrante d’innovation, un recyclage incessant des mêmes univers au détriment de créations audacieuses et inventives. Dans ce contexte, exhumer la franchise d’Amblin Entertainment, Twister, semble une idée saugrenue. Réalisé par Jan de Bont, il s’inscrivait dans la mouvance des films catastrophes des années 1990, un genre alors en pleine ascension. À travers des effets spéciaux révolutionnaires pour l’époque, il narrait les aventures de chasseurs de tornades affrontant des phénomènes météorologiques extrêmes. Malgré une écriture parfois maladroite et simpliste, le film mettait en lumière la puissance destructrice de la nature et la détermination humaine à comprendre et à survivre face à ces forces incontrôlables. Néanmoins, l’objectif principal restait de fournir un divertissement simple et sans prétention. C’est sans doute pour cela qu’il a rencontré un succès immense et est devenu culte pour beaucoup.
Twisters, désormais mis en scène par Lee Isaac Chung, qui, après avoir sublimé les champs de l’Arkansas dans Minari, choisit de les balayer d’un coup de vent avec d’énormes tornades, grâce à un budget (excessivement) généreux de 200 millions de dollars. On peut aisément s’interroger sur la nécessité de ce reboot. Hormis la modernité technologique dont disposent les chasseurs de tornades et l’ajout d’un “s” au titre, il n’y a, sur le papier, rien de plus que dans le long-métrage original. Nous y suivons Kate Carter (Daisy Edgar-Jones), profondément marquée par un accident lors d’une violente tornade quand elle était étudiante. Désormais, cette ancienne chasseuse de tornades préfère les étudier depuis New York, à l’abri des risques. Cependant, elle reprend du service lorsque son ami Javi (Anthony Ramos) lui propose d’utiliser un nouvel appareil de détection. Au cours de cette aventure, elle croise la route de Tyler Owens (Glen Powell), un chasseur de tornades vidéaste, célèbre sur les réseaux sociaux.
On aurait pu naturellement se demander si Twisters allait aborder le réchauffement climatique actuel et utiliser ce contexte, les tornades et leurs chasseurs, pour illustrer les horreurs que cela engendre sur les populations, notamment américaines. La nature, en proie à des risques accrus, se rebelle de manière imprévisible contre un monde de plus en plus capitaliste et pollué. Malheureusement, tout comme dans le premier film des années 90, ce n’est qu’une toile de fond. Ce qui prime ici, c’est le portrait féminin fort et rafraîchissant de Kate Carter. Contrairement a l’original où les personnages principaux, interprétés par Bill Paxton et Helen Hunt, laissaient la présence féminine effacée par l’étiquette de l’intérêt amoureux, Kate est une femme traumatisée par des événements passés, sûre d’elle dans ses sentiments, ses amitiés et son métier de météorologue et chercheuse. Son rêve le plus profond est de trouver un moyen de maîtriser les tornades, de sauver les populations et d’éliminer ces catastrophes avant qu’elles ne causent des drames. Le message écologique est présent, mais il s’efface souvent pour laisser place à un divertissement catastrophe pur et simple.
Twisters ne laisse que très peu de temps morts, maintenant une tension constante et une action captivante, mais qui toutefois omet des moments de discussion et de réflexion qui auraient pu servir un propos politique et de prise de conscience. À chaque fois que le scénario tente de se poser et de laisser parler ses personnages, la véritable catastrophe survient. Les dialogues deviennent creux, répondant à des questions absurdes au lieu de traiter des sujets essentiels. Lorsque l’un dit « On ne peut pas faire ça, il nous manque ceci », un autre répond « C’est bon, je l’ai ». L’attention s’efface instantanément, et la péripétie se débloque sans réel enjeu. Cela se répète sans cesse. Chaque membre de l’équipe désamorce une situation avant même qu’elle ne commence véritablement. Ainsi, même les scènes d’action et les problématiques instaurées semblent si simples que les enjeux s’effondrent constamment, laissant place à d’autres tout aussi vite résolus. La question centrale de la maîtrise des tornades persiste, mais l’écriture semble l’oublier régulièrement pour la faire réapparaître dès qu’elle ne sait plus quoi raconter.
Néanmoins, une idée qui surgit dans le climax final sauve non seulement le film de son manque d’intelligence, mais aussi de son manque d’intérêt. Lorsque une petite ville de campagne est dévastée par une tornade, l’intrigue choisit de transposer l’action en demandant aux personnages principaux de rassembler la population locale dans un cinéma, supposé être le refuge le plus sûr. À l’image de nombreux spectateurs d’aujourd’hui qui, sous un soleil brûlant et une chaleur caniculaire, se réfugient dans ces lieux climatisés pour échapper à la touffeur. Au départ, la population est protégée, et un film est même diffusé dans le cinéma. Ils trouvent dans ce divertissement un moyen d’oublier, l’espace d’un instant, le cataclysme qui sévit à l’extérieur. Cependant, la catastrophe devient si intense que le toit du cinéma commence à s’effondrer, sans pour autant interrompre la projection. Jusqu’à ce qu’un coup de vent puissant aspire le mur de l’écran, laissant la réalité faire irruption. Lee Isaac Chung illustre que ce qui nous divertissait dans les années 90, ce fantasme de tornades si puissantes qu’elles semblaient irréelles, est désormais une réalité à laquelle il faut faire face. Ce qui était perçu comme un film catastrophe divertissant pour son absurdité, comme Le Jour d’Après, est aujourd’hui une réalité qu’il ne faut plus traiter comme un simple divertissement, mais comme un véritable combat. Une réalité que le cinéma ne peut plus cacher ni protéger.
Certes, malgré des dialogues souvent abrutissants et des relations entre les personnages principaux, secondaires, voire tertiaires (pensée particulière à Katy O’Brian, qui dans quelques années pourra remercier Rose Glass pour sa tribune, et à Kiernan Shipka, encore plus effacée ici que dans Longlegs), révélateurs du manque de renouvellement d’Hollywood et de la paresse scénaristique dans la construction de récits concrets et complexes, et malgré des scènes d’action peu inspirées, Twisters parvient à offrir quelques moments mémorables. Grâce à des regards évocateurs, des trouvailles astucieuses, et une touche de modernité dans l’écriture de son personnage féminin, tout en évitant la romance clichée entre un playboy et une belle femme, archétypes d’une époque révolue, il trouve de quoi sustenter et, en tout cas, éviter une redite inutile.
Twisters de Lee Isaac Chung, 2h02, avec Daisy Edgar-Jones, Glen Powell, Anthony Ramos – Au cinéma le 17 juillet 2024