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[CRITIQUE] Tótem – Angle Mort

Après le succès critique de son premier long-métrage, La Camarista, on attendait beaucoup du nouveau film de Lila Avilés, Tótem. Cette fois-ci, la réalisatrice suit une journée dans la vie de Sol, une petite fille qui passe la journée dans la maison de son grand-père, en attendant une fête nocturne en hommage à son père, gravement malade. Le film se concentre sur les différentes interactions de l’enfant du matin, lorsqu’elle est déposée par sa mère, jusqu’au soir, lorsque la fête bat son plein. La grande idée du film est d’observer la manière dont la mort est représentée au Mexique – trouvaille elle-même exploitée en France par le distributeur qui sort Tótem en novembre, près de la Toussaint, notre hommage aux morts – et d’en faire, à travers une famille, une figuration plus globale du pays. La mort est omniprésente dans le film, à la fois dans les discussions et les activités familiales, notamment lors d’une étonnante séance de spiritisme. Pourtant, malgré ce climat relativement sombre, Tótem ne tombe jamais dans le morbide. En plaçant sa caméra à hauteur d’enfant, le point de vue de Sol place donc pendant la majeure partie du film, la mort en dehors du cadre. Certaines de ses blagues, notamment pendant la séance de spiritisme, détendent immédiatement l’atmosphère.

Il y a une opposition très claire entre le monde enfantin, où les personnages jouent, parlent à des chats et font des blagues, et celui des adultes, où les personnages boivent trop, pleurent et évoquent avec tristesse la mort à venir. Tótem utilise donc l’un pour observer l’autre, à sa place d’enfant pour mieux observer les adultes. Ce principe fonctionne à merveille dans de nombreuses séquences, mais devient étrange dans celles ne figurant pas d’enfants, car la cinéaste ne sait plus où placer sa caméra. Quel point de vue adopter dans ces situations ? Le film hésite, tente plusieurs choses sans jamais savoir sur quel pied danser, finissant par ne pas adopter de point de vue précis. Ces scènes font tâche dans un film où l’angle est primordial. Le point de vue principal du film, Sol, est particulièrement important puisqu’il transforme l’unité de lieu et de temps présente dans le film. En parcourant toutes les pièces à divers moments de la journée, le regard de l’enfant rend compte de la complexité de cette maison, qui en devient presque vivante. La décoration, la lumière et l’animation de chaque salle changent selon les moments du film, ce qui donne, en plus du regard enfantin, une couche supplémentaire de vie à Tótem. Cette manière d’entrelacer des moments liés à la mort et d’autres à la vie représente parfaitement la manière de penser ce concept au Mexique, où la fin est vue comme un nouveau commencement, plutôt que comme un élément uniquement triste. Le meilleur exemple de ce lien étroit  se trouve dans le personnage du père, aux portes de la fin, qui est mis à l’honneur lors de la soirée.

Copyright Limerencia Films

D’abord en dehors du cadre du film à cause de sa trop grande faiblesse physique, Tótem décide finalement de ne pas cacher sa détresse et de montrer toutes les difficultés rencontrées par le père. On observe donc sa maigreur, ses différents changements d’habits lorsqu’il se fait dessus et ses difficultés à se déplacer, sans que jamais cela ne tombe dans le regard vulgaire et grossier sur son corps. Il est vu par le regard enfantin comme de plus en plus vivant puisqu’il possède une place de plus en plus importante dans le cadre, jusqu’à venir en personne à la fête. Il devient alors souriant et comique avec les invités, montrant encore une fois le contraste entre la mort et la vie. Tout le film fonctionne sur cette alternance de scènes, où ces deux thèmes s’opposent puis s’entrelacent encore et encore. Après s’être égaré lors de la fête finale, en multipliant les points de vue et les intrigues superflues, Tótem revient, quelques secondes avant de clôturer son récit, sur l’essentiel. La caméra se rapproche de plus en plus de Sol (et non pas du sol), excluant petit à petit les adultes autour d’elle, puis attrape le visage de l’enfant en gros plan. Elle lève les yeux et fixe intensément la caméra, donc les spectateurs. Ce regard interpelle, puisqu’en clôturant le récit de cette manière, Lila Avilés insiste sur son adresse au public, souhaitant que celui-ci retienne le film. Cette méthode met en évidence l’importance de la question du regard dans le film, que l’on retrouve d’ailleurs à plusieurs reprises au cinéma cette année. Les Fantômes (2024, Jonathan Millet) et El Profesor (2024, Benjamin Naishtat et Maria Alché) se terminent eux aussi par un regard braqué sur le spectateur, montrant que leurs messages (l’importance de célébrer la mort, de faire la paix avec son passé et de lutter politiquement) s’adressent directement au public, le laissant ainsi communier avec les protagonistes.

Tótem de Lila Avilés, 1h35, avec Naíma Sentíes, Montserrat Marañon, Marisol Gasé – En salles le 30 octobre 2024

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