À la fois entité la plus puissante de l’univers cinématographique Marvel (Avengers : Endgame s’en est servi comme d’un deus ex machina) et personnage de seconde zone (son implication reste minime dans la franchise), la place de Carole Danvers au sein du système Avengers est encore floue malgré ses quatre ans de participation. Et The Marvels ne risque pas d’arranger sa situation. Après une première aventure en solitaire, éloignée géographiquement et temporellement de ses super-collègues, l’ex-pilote de l’armée américaine (désormais dotée de capacités phénoménales) partage l’affiche. Cette fois, pas de milliardaire en armure, pas de raton laveur parlant, pas de colosse mauve et ses fichues pierres. C’est au tour des héroïnes de la télévision de faire leur trou au cinéma, et ce trente-troisième opus ne passe pas par quatre chemins pour imposer ses nouvelles recrues en tant que vedettes : le blockbuster de Nia DaCosta s’organise autour de la liaison surnaturelle des anciens et nouveaux personnages, unis par un fâcheux incident cosmique, et dont les positions physiques s’alternent dès lors qu’ils usent de leurs pouvoirs.
Monica Rambeau et Khamala Khan, toutes deux venue du streaming et ici mises à l’épreuve, chipent ainsi couramment (et avec une bonne excuse) la lumière des projecteurs à celle qui n’a connu que le grand écran, une Brie Larson remontée à bloc mais sacrifiée pour la cause de Kevin Feige. Car les plans du patron de Marvel Studios, ici fardés par un concept poilant, n’ont rien de secret : The Marvels est pour lui une opportunité de vérifier la soumission du public aux dérivés du cinéma et de propulser leurs protagonistes aussi haut que ceux qui chatouillent les sommets du box-office depuis quinze ans. Seulement, la méthode est à double tranchant. En soumettant l’idée d’une égalité absolue parmi ses héro(ïne)s, le film valide (pour ne pas dire promeut) leur interchangeabilité. Et la saga n’avait franchement pas besoin qu’on lui rappelle le caractère remplaçable de ses protagonistes, dont le nombre grandissant trahit son manque d’imagination et de direction.
Des bonshommes dupliqués et substituables : la logique industrielle des usines Marvel se lit d’un côté et de l’autre de la caméra, chez les super-héros et ceux embauchés pour filmer leurs acrobaties. Nia DaCosta avait pourtant su se dépêtrer du remake de Candyman. Sur la base d’un scénario de Jordan Peele, et avec la ferme intention de dépoussiérer l’imagerie du croque-mitaine, la réalisatrice s’était appropriée son sujet avec un certain savoir-faire technique, distillant les effets de frousse dans les reflets d’une galerie d’art. The Marvels clignote aussi, mais ses éclairages sont eux vidés de sens. Aussi moche qu’un Ant-Man et la Guêpe, plus beau qu’un Thor : Love and Thunder, le film ne pond aucune image accrocheuse et ne fait rien de ses environnements lointains, si ce n’est y incruster salement ses personnages. Dans ses scènes les plus tolérables, l’opus compense son pauvre habillage par un exotisme hérité des vieux programmes Star Trek, change ses dialogues rébarbatifs en chansons et remplace les tenues de cuir par des robes soyeuses et colorées. Cela ne dure pas, est noyé dans une histoire éculée de vengeance et d’amitié, mais le long-métrage sort du coma le temps de dix minutes.
Pour la suite de Captain Marvel, c’est beaucoup : ce volet se tient en moins de deux heures, et prouve au passage que ces divertissements en capes et collants n’ont guère besoin de plus. Le film déballe son intrigue à bonne cadence, jalonné par les permutations intempestives du trio éponyme, marrantes avant d’être détournée pour les chorégraphies de combat. Unies sur le plan intime et par le nom, nos trois héroïnes adaptent leur malheur en collaboration et, malgré cette ennuyeuse impression d’un copinage entre itérations d’un même faciès, séduisent à force de saynètes cocasses. Le résultat est à rapprocher de Spider-Man : No Way Home, également assemblé autour de la cohabitation de versions alternatives d’un unique personnage, et aussi impacté par les bouffées de multivers que souffle Kevin Feige sur cette cinquième phase du catalogue Marvel. Des expirations qui ne devraient pas aider ses pantins à se singulariser quand ceux-ci ne craignent plus de disparaître, puisque remplaçables à l’infini par leurs doubles d’autres dimensions.
The Marvels de Nia DaCosta, 1h45, avec Brie Larson, Samuel L. Jackson, Iman Vellani – Au cinéma le 8 novembre 2023.
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JACK5/10 Mid (comme disent les jeunes)La méthode The Marvels est à double tranchant : en soumettant l'idée que les héro(ïne)s de cinéma et de télévision se valent, au point d'échanger leurs places dans l'univers, le blockbuster valide aussi leur caractère interchangeable - et donc remplaçable. Drôle, mais pas malin.
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Louan Nivesse2/10 "C'est nul !"Le récit s'ouvrait sur une prometteuse trame narrative, initiant un dynamisme adolescent des plus divertissants, une scène d'action inaugurale digne d'éloges, le tout portant une réminiscence parfaitement assumée à l'esprit des Totally Spies. Cependant, tel un épisode de dessin animé diffusé dans le créneau horaire de TFOU, le film se déploya sur une durée excessive de 1 heure 45 minutes, s'inscrivant ainsi dans un contexte aussi fluctuant que l'ensemble de la programmation de TF1. De quoi suggérer la possibilité de concevoir un long-métrage digne de ce nom, au sein de cette garderie.
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