Après Mank, biopic sorti en pleine pandémie sur Netflix fin 2020, David Fincher revient avec The Killer, un thriller en partie tourné à Paris et adapté d’une bande-dessinée française, qui sortira également sur la plate-forme le 10 novembre. Le programme est simple : un tueur rate sa cible, et ses employeurs torturent sa compagne en guise de punition, ce qui le lance dans une chasse à l’homme implacable pour se venger et assurer sa sécurité.
Un postulat simple, relativement convenu me direz-vous, mais c’est son traitement qui est intéressant ici, surtout entre les mains d’un tel cinéaste. En effet, David Fincher a eu l’occasion de nombreuses fois de mettre en scène des meurtres, mais épouser totalement le point de vue d’un tueur, c’est une première. Nous sommes directement plongés dans son quotidien et ses pensées, à travers une voix-off omniprésente, un procédé qui rappelle fortement la série Dexter, où l’on suivait également de (très) près un tueur en série avec un flux de pensées permanent.
Un dispositif qui permet, pour peu que l’écriture soit soignée et l’interprétation de cette voix-off convaincante, de vite cerner un personnage et d’entrer en empathie avec lui, même s’il paraît froid de prime abord. Le tueur, formidablement incarné par Michael Fassbender, est extrêmement méthodique (il répète sans cesse son crédo « suis ton plan, ne fait confiance à personne, oublie l’empathie, anticipe, n’improvise pas, ne cède jamais un avantage… »), mais il se révèle faillible. Sous son air dénué de tout sentiment, se cache une réelle humanité, et des émotions – que Fassbender parvient à faire transparaître juste avec son regard – qu’il tente de réprimer pour accomplir sa tâche le plus efficacement possible.
Cependant, ce sont bien ces failles proprement humaines qui sont la cause de ses problèmes dans le film. En effet, le tir raté au départ est dû à un clair manque de concentration causé par la présence d’une femme en tenue lascive. De même que sa chasse à l’homme n’est pas motivée uniquement par une volonté survivaliste, mais plutôt protectrice de ce qui compte pour lui : sa compagne, cachée dans sa maison en République Dominicaine, que ses employeurs ont attaquée. Enfin, la voix-off permet également, dans le même esprit que la série Dexter, d’amener quelques touches humoristiques, en créant des décalages entre ce que se dit le personnage, et la réalité à laquelle il est confronté, car tout ne se déroule pas toujours comme prévu.
C’est bien évidemment ces imprévus, dans un parcours narratif qui semble balisé, qui font le sel du long-métrage. Mais David Fincher y confère également toute sa méticulosité dans la mise en scène, sa précision dans le découpage, agrémenté d’un travail sonore de grande qualité. Dès le début du film, après un bref générique (donnant l’impression de lancer une série télé), le cinéaste prend à revers les attentes que l’on peut avoir des films de « hitman », en prenant le temps de poser son atmosphère, et même un certain ennui pour son personnage, qui doit attendre patiemment sa cible et se préparer physiquement et mentalement à l’exécution de sa tâche. Une introduction d’environ 20 minutes à Paris, très maîtrisée, qui donne le ton du film d’entrée de jeu.
Fincher prend un malin plaisir à privilégier les dialogues, ou plutôt le monologue intérieur de son protagoniste, aux scènes d’action attendues du genre. Cependant, lorsqu’il nous offre ce type de séquences, il se montre tout à fait (ré)créatif. On peut notamment retenir une scène de bagarre à mains nues, chose qu’on avait plus vraiment vu depuis Fight Club, qui ici oppose donc le tueur face à un véritable colosse, une montagne de muscles dont la force et la brutalité sont représentées de manière assez impressionnantes visuellement, et via le sound design.
Si le film reste assez direct et minutieux dans son programme narratif, reste que le cinéaste nous gratifie de quelques commentaires cyniques, que ce soit à travers les pensées du tueur, ou par la vision du monde qui l’entoure, sur une société capitaliste uberisée à l’extrême, dans laquelle peut se fondre aisément un tueur à gages. L’enjeu pour ce personnage est aussi de comprendre sa place dans tout cela, lui qui pense, du fait des exigences de son métier, faire partie d’une minorité de gens, mais suite à son erreur, devra tenter de s’intégrer à la masse populaire.
The Killer n’est certainement pas une nouvelle œuvre majeure de David Fincher, et ça tombe bien, ce n’en est pas le but. En revanche, il n’en reste pas moins un objet de cinéma tout à fait exaltant et fascinant, sorte de relecture du film de tueur à gages se muant en film de vengeance, mais qui par sa voix-off permanente rappelle les bonnes heures de la série télévisée Dexter.
The Killer de David Fincher, 1h58, avec Michael Fassbender, Charles Parnell, Tilda Swinton – Sortie en exclusivité sur Netflix le 10 novembre 2023.
-
William Carlier8/10 MagnifiqueThe Killer évoque Fight Club, en suivant un tueur incertain de son conditionnement, qui lui sied habituellement. Fincher distille par chapitre les failles d'une mécanique qui ne résiste plus à l'émotion. Fassbender impérial pour un opus clinique, sur un rythme effréné.
-
Vincent Pelisse8/10 MagnifiqueThe Killer n’est certainement pas une nouvelle œuvre majeure de David Fincher, et ça tombe bien, ce n’en est pas le but. En revanche, il n’en reste pas moins un objet de cinéma tout à fait exaltant et fascinant, sorte de relecture du film de tueur à gages se muant en film de vengeance, mais qui par sa voix-off permanente rappelle les bonnes heures de la série Dexter.
-
JACK8/10 MagnifiqueTel le protagoniste de son nouveau film, David Fincher est devenu un exécutant haut de gamme, un spécialiste en mission, réduit à ce qu’il fait de mieux. Pour l’un, l’assassinat millimétré ; pour l’autre, le thriller racé. Celui-ci est parfaitement réfléchi.
Un Ping
Pingback: [CRITIQUE] Silent Night – Muet comme une tombe - C'est quoi le cinéma ?