[CRITIQUE] Lunettes noires – Sans surprise ?

Présenté à la Berlinale l’année dernière, Lunettes noires est un retour inespéré de Dario Argento. Plus de dix ans après Dracula (2012), le cinéaste italien revient à ses fondamentaux en tournant ce giallo. Alors qu’une prostituée est attaquée en pleine rue à Rome, celle-ci devient aveugle après cela. Un tueur en série semble en être responsable, et celle-ci se lie d’amitié avec un jeune garçon pour faire face à ses attaques éventuelles dans la région où il sévit…

Ce synopsis ne peut qu’évoquer en soi, le slasher, tant Argento donne beaucoup d’importance à la perspective de la victime dans ce film, où l’on craint davantage l’irruption du serial killer que les circonstances des attaques, souvent filmées à la première personne dans les autres films du maître italien. Il s’agit de suivre son périple dans Rome, un peu comme le voyage de Susy dans Suspiria (1977). Ce que Lunettes noires perd en subtilité, il le gagne dans son déchaînement de violence esthétique sublime, ici mêlée à une forte dramatisation du personnage principal. L’introduction du long-métrage touche d’ailleurs à une certaine poésie, prenant le temps de marquer le traumatisme de cette femme, ne voyant plus et ressentant les choses à l’extrême.

© Pierrot Le Fou

La photographie met bien en valeur les contrastes de jour et de nuit, la lumière éclairant autant cette femme que l’enfermant dans l’obscurité. A ce titre, Argento la filme comme une victime de sa propre beauté. L’idée même que cette femme est prostituée contribue à la rendre plus vulnérable, acquise ou presque à la cause de l’étranger, se déplaçant dans l’inconnu. Cependant, le metteur en scène force parfois un peu le trait sur son quotidien, privilégiant même le temps à l’écran pour cela, davantage que les attaques effrayantes du tueur. Lunettes noires n’est donc pas le giallo classique que l’on connaît du réalisateur, revisitant complètement les structures connues de ses films, en particulier Ténèbres (1982).

Ilenia Pastorelli est très convaincante dans le rôle-titre, interprétant une personne fragile et attachante dans sa naïveté, sur le monde qui l’entoure. Il faut également dire que cela n’est pas si courant d’épouser autant la figure féminine dans le cinéma horrifique moderne, même si cela n’est pas sans maladresses d’écriture. En effet, Argento a tendance à utiliser encore de facilités scénaristiques quant il s’agit de rendre crédible la survie de ses personnages. Pourtant, c’est bien l’émotion qui reste présente au premier plan, l’intrigue restant captivante.

© Pierrot Le Fou

La musique composée par Arnaud Rebotini est très plaisante, reprenant le style musical du groupe de rock progressif Goblin, responsable de la majorité des bandes originales de Dario Argento. Cela est à la fois réjouissant et quelque peu daté, sans pour autant que le tout sonne ridicule. Au contraire, bien des séquences de poursuites sont accompagnées par les notes au synthétiseur, accentuant le suspense et accompagnant la mise en scène avec brio.

Lunettes noires n’est certainement pas un grand moment dans la carrière de Dario Argento, c’est un film assez mineur et oubliable en comparaison de ses grands succès cinématographiques. Il ne faut toutefois pas refuser un tel geste qui, sans répéter à la lettre les fondamentaux du genre, reste modeste et sincère dans sa démarche. Car le réalisateur ne fait pas durer trop longtemps son film, minimisant l’horreur pour mieux l’accentuer dans les moments de silence. Une intention toute autre de sa dernière partie de filmographie, qui pourrait conclure sa carrière d’une plus belle manière.

Lunettes noires de Dario Argento, 1h27, avec Ilenia Pastorelli, Asia Argento, Andrea Gherpelli – Disponible en blu-ray chez Extralucid Films

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