Marco Bellocchio est un cinéaste vieux de 83 ans qui, à travers sa carrière, a ausculté à la fois les grandes fresques historiques et l’intime, notamment avec le sublime Marx peut attendre (2021). Alors le savoir aux commandes de L’Enlèvement, à la rencontre entre l’histoire et le drame familial, ne pouvait que nous faire trépigner d’impatience. En 1858, l’histoire de l’enlèvement d’un enfant juif par le pape, tout d’abord scénarisé par Spielberg et Kushner, qui dégénère en conflits à travers toute l’Italie. On le sait depuis bien longtemps maintenant, les films biographiques au cinéma, ou les films historiques, servent bien plus à éclairer le présent que le passé. Alors l’Enlèvement ne devient que plus captivant (jeu de mot involontaire) quand on le met en parallèle des événements récents de la politique italienne.
L’enlèvement du jeune Edgardo met rapidement en lumière les divisions au sein de l’Italie. De religions bien évidemment, mais aussi les différences géographiques, de traditions, de finances ou même de langages. L’état est fragmenté, le constat de Bellocchio est même pessimiste puisqu’il ne semble pouvoir exister aucune réconciliation possible. Le jeune Edgardo se retrouve justement à mi-chemin, entre deux mondes que tout oppose. D’un côté, sa famille qui part en guerre pour le récupérer, de l’autre l’église catholique qui, entre inquisition et enlèvement, semble imbattable. Les affrontements s’accentuent et la réconciliation devient impossible jusqu’à ce plan final dévastateur, qui marque le regard pessimiste du cinéaste sur son époque. Il capte la volonté des différents camps de son pays de se détruire mutuellement, quitte à sombrer ensemble. Bellocchio fait de ce drame familial touchant une métaphore de l’Italie contemporaine, quitte à parfois être trop peu subtil.
Mais comme tout bon film, L’Enlèvement ne se limite pas qu’a une seule facette, en plus d’être un drame déchirant c’est également une fresque historique épique. Trois éléments viennent mettre en évidence cet aspect. Le cinéaste veut montrer toute l’importance historique de son sujet. Il commence donc par étirer son récit sur des dizaines d’années, montrant à la fois des évolutions bien sûr, mais surtout la force d’un conflit que même le temps ne peut arrêter. Dans le même temps, le réalisateur multiplie les points de vue sur la situation, celui d’Edgardo bien sûr, puis de sa famille et du Pape. Et lorsque les enjeux semblent dépasser l’Italie elle-même c’est le monde qui intervient dans cet enlèvement. La diaspora juive use de son influence pour résoudre le conflit tandis que l’Église mobilise ses soutiens à travers le monde pour détruire ses ennemis. En mobilisant à la fois des bornes spatiales et temporelles gigantesques, c’est tout ce fait divers qui s’étire jusqu’à prendre une place primordiale sur l’histoire italienne, en tout cas selon son réalisateur. Enfin le dernier élément qui vise à accentuer le mélodrame, c’est bien sûr la musique orchestrale, présente à chaque séquence et venant rappeler la grandeur de cette histoire pour le peuple italien.
Malheureusement, malgré le talent de Bellocchio pour mettre en scène l’Histoire, il lui manque un élément pour que son œuvre nous tienne en haleine. Il a en effet un antagoniste de taille avec le Pape Pie IX, joué par le terrifiant Paolo Pierobon, qui persécute enfants et mères épleurés pour protéger son pouvoir personnel. Chacune de ses apparitions nous donne un plaisir malsain à observer les répliques de ce monstre qui entraîne dans sa chute tout un pays. Les personnages abjects fascinent les spectateurs, nous le voyons encore récemment avec Anatomie d’une Chute et son avocat général. Pourtant, pour contrebalancer, nous avons besoin d’un protagoniste suffisamment intéressant pour empêcher l’ennui de nous enlever. Le jeune Edgardo ne suffit pas car il reste assez vite bloqué dans le rôle de « l’ex-juif devenu chrétien » sans jamais montrer de signes de tiraillements une fois que ses 10 ans sont passés. Et du côté de sa famille les personnages sont bien trop nombreux pour être assez développés ce qui donne plutôt une impression chorale, au détriment d’un protagoniste fort. Cette absence renforce le pessimisme du film, qui ne possède que des antagonistes, mais signe aussi un certain ennui.
C’est quoi le cinéma selon Marco Bellocchio ? À plus de 80 ans, le cinéaste signe des récits toujours aussi forts et pertinents. Ici, il vise bien sûr le radicalisme et l’extrémisme de mouvements religieux et surtout des institutions politiques. Sous des prétextes, ce sont surtout des dizaines de violences qui sont exécutées pour protéger un pouvoir personnel. Le drame familial s’affaiblit en cours de récit pour laisser libre cours à une épopée époustouflante. Pourtant dans ce déchainement de batailles et d’assassinats, il manque de la subtilité et … du drame justement. Comme si, en cours de route, le réalisateur se perdait tout comme ses protagonistes. Un film qui impressionne mais dont le souvenir ne perdure pas, à l’image de son antagoniste qui sort les grands moyens pour rester dans l’Histoire.
L’Enlèvement de Marco Bellocchio, 2h15, avec Paolo Pierobon, Enea Sala et Leonardo Maltese – Au cinéma le 1er novembre 2023
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