[CRITIQUE] Flux Gourmet – Une femme sous flatulence

Après être passé par plusieurs festivals de renom (Berlin, TIFF) et avoir fait sensation un an plus tôt grâce à une bande annonce énigmatique, que penser de la nouvelle folie de Peter Strickland (réalisateur d’entre autres d’In Fabric et de Katalin Varga) ?

Alors que naissent des tensions entre les membres d’un collectif d’artistes culinaires, un rédacteur (Makis Papadimitriou) – atteint de problèmes gastriques – est chargé de faire un reportage sur leur mystérieux travail, tandis que le groupe est la cible de vendettas et de jalousies. Mais lorsque la cheffe du collectif (Fatma Mohamed) s’intéresse au timide journaliste, elle voit dans ses problèmes intestinaux l’opportunité de rendre son art plus authentique.

Flux Gourmet est un film de genre ayant pour toile de fond le quotidien du monde de l’art contemporain. Le long-métrage tend à montrer les différentes facettes du monde artistique de notre temps avec les artistes, journalistes, et producteurs faisant vivre ce microcosme, et ce avec une dose de satire et d’auto-dérision. Parce que oui, d’entrée de jeu, Flux Gourmet utilise les codes de la farce pour déployer au mieux son propos. Entre disputes comiques et gags visuels et sonores, Peter Strickland mobilise tout un dispositif destiné à faire rire le spectateur, qu’il rit de bon cœur, ou de gêne. De ce fait, le film est décrit ici et là (et à raison) comme une comédie noire grinçante. Mais pas seulement. Comme décrit plus haut, le film du réalisateur britannique ne se contente pas d’être qu’une comédie américaine, bien au contraire : le résultat officie comme un savant mélange entre humour et film de genre.

© FILMO

Aussi, lorsque le groupe effectue une performance artistique, la mise en scène essaie de restituer l’énergie qui en découle à travers l’utilisation des codes de l’horreur, voire du body horror. Flux Gourmet semble agir comme un film terrifiant qui dérange son spectateur, tantôt dégoûté, tantôt fasciné par le spectacle qui se déroule devant ses yeux. Par ailleurs, c’est dans ces scènes qu’on trouvera la véritable force du film et son originalité, bien qu’il faille avouer que le schéma amenant à ces séquences soit parfois répétitif (entraînement ; dispute ; entretien en face à face avec un membre du groupe ; discours du soir ; performance et ainsi de suite… plutôt redondant).

Au-delà de la satire östlundienne sur le monde artistique, le film pose la question de ce qui est accepté ou non en société. Si l’on accepte sans broncher de voir autrui ingérer de la nourriture, dévoiler son intimité dans des compositions radicales, que ce soit dans un film voire même un tableau, pourquoi d’autres choses sont considérées comme tabous ? Ou difficiles à montrer ? Avec le personnage du rédacteur malheureux à cause de sa maladie, Peter Strickland souhaite montrer le visage d’un artiste qui, même dans le plus profond désespoir, souhaite réaliser une œuvre, peu importe sa nature. Écrivain raté, il se retrouve entraîné malgré lui dans ce groupe de performances dont il se sent au début du film totalement étranger, puis où, à y mettre (littéralement) ses tripes, l’art devient quelque chose qui peut s’avérer pénible, mais aussi qui purge (littéralement encore) ses passions.

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Les personnages souffrent alors pour un public muet (tandis que l’art du collectif ressemble à une cacophonie) lui-même inconscient du sacrifice de l’artiste, qui transmet pourtant toute sa mélancolie dans des œuvres empreintes de démence pour permettre, peut-être, au spectateur de trouver la catharsis. En dévoilant son intimité, on transmet une pureté dans l’émotion. Tandis qu’au milieu de tout ça, se retrouve le personnage d’Elle, charismatique leader du collectif. Bien qu’elle tende à l’authenticité, elle base son image sur des mensonges éhontés (ses motivations, ses relations avec les autres membres du groupes, etc.) Le paradoxe de la situation d’artiste, à la fois désirée et repoussée, traverse tout le récit en filigrane.

Le point faible dans tout ceci repose sans doute dans le manque de subtilité de certaines scènes – à l’image du discours d’Elle sur l’évolution de l’image de “la femme à la cuisine”, bien écrite mais étirée sur la longueur – qui auraient mérité parfois plus de nuances ou de précisions.

© FILMO

Côté technique, le film bénéficie d’une photographie léchée, reposant sur une colorimétrie variable aux tonalités froides, pour faire ressortir la solitude et la mélancolie des personnages. Au delà de l’image, le film repose sur sa bande son. Entendre la nourriture, c’est aussi une forme de sensualité, voilà le pari esthétique que recherchait Peter Strickland. Ce n’est pas sans rappeler, dans une moindre mesure, le travail d’un certain David Cronenberg sur les passionnants Crimes du Futur. Pour donner de la vie et du corps à ce récit, Strickland profite d’un casting électrisant. En passant de la magnétique Fatma Mohamed, à la talentueuse Ariane Labed – qu’on espère revoir dans ce genre de projet encore plus souvent – tous les acteurs donnent de leur personne pour rendre cette folie crédible à l’écran. Mention spéciale à Gwendoline Christie, ex Brienne chevalier des Sept Couronnes de Game Of Thrones, qui s’en sort très bien en maîtresse de maison au style baroque.

Si l’on regrettera peut-être un scénario parfois légèrement répétitif, Flux Gourmet vaut quand même largement le détour, tant ce qu’il propose est généreux et démentiel. Viscéral, décapant et provocateur, le dernier long-métrage en date de Peter Strickland dissèque les tourments de l’artiste pour mieux les questionner.

Flux Gourmet, de Peter Strickland, 1h51, avec Fatma Mohamed, Gwendoline Christie, Makis Papadimitriou – Sur FILMO le 1er juillet 2023.

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