Il est (re)venu, le temps des mutants. Pour les scénaristes à la solde de Kevin Feige, cela sonne probablement comme une libération : depuis le rachat de la 20th Century Fox et la retraite forcée des X-Men, les auteurs de chez Marvel Studios s’échinent à préparer le retour en grande pompe (soit au cinéma) de l’équipe en cherchant le point d’entrée idéal dans leur univers de super-héros connecté. Sans surprise aucune, l’intronisation tant attendue se fait grâce à la magie du multivers, nouvelle excuse fétiche des studios pour croiser les franchises à l’infini sans se fouler, et dont les effets se sont déjà fait ressentir via les récents Spider-Man : No Way Home et Doctor Strange 2. Mais cette fois, pas d’intermédiaire avec sa carte de membre des Avengers : ce sont les super-héros de la Fox qui mènent les opérations, à braver les portails dimensionnels et la houle du fan-service. La saga passe ainsi à la vitesse supérieure avec Deadpool & Wolverine, qui voit le personnage de Ryan Reynolds se frotter au Tribunal des Variations Anachroniques (celui-là même qui embête Loki dans la série télévisée qui porte son nom), la langue toujours bien pendue derrière son masque rouge.
Et il faut reconnaître que son aptitude à briser le quatrième mur n’a jamais été aussi bien exploitée. Habitué à regarder son public dans les yeux, le mercenaire use de cette proximité avec ses spectateurs pour, derrière le commentaire d’une transition inéluctable (d’un univers cinématographique mort vers un autre), glisser un soupçon de mélancolie quant à sa personnalité de protagoniste « qui essaie » et de jeune orphelin. Le blockbuster commence et finit ainsi, rendant hommage à ces héros qui ont tenté (d’exister, de rejoindre la bande de Captain America ou de la concurrencer au box-office), souvent échoué, et dont Ryan Reynolds se fait le représentant logique après des années de déboires à Hollywood et sa rédemption deadpoolienne. C’est donc avec un regard tendre que l’acteur – comme le film tout entier – assiste à l’enterrement des licences parallèles, des temporalités qui ne sont plus, rachetées puis annihilées par Disney pour qu’il ne subsiste que la « chronologie sacrée », celle dictée par Kevin Feige.
Et ce n’est pas parce qu’il opère désormais pour la firme aux grandes oreilles que Wade Wilson, de son vrai nom, a cessé de faire une analyse cynique de ses employeurs. À la révérence faite à ces autres personnages qui n’auront pas la chance d’être sauvegardés se joint la métaphore peu subtile du coffre à jouets : les super-héros apparaissent comme autant de figurines que l’on achète, vend et jette à la poubelle quand leurs propriétaires (des types en costard-cravate qui prennent ici le visage malicieux de Matthew Macfadyen) ne s’en amusent plus. Deadpool & Wolverine assume par ailleurs intervenir à une période de crise, alors que Marvel Studios est en panne créative et s’enlise avec ses histoires de réalités alternatives, trop peu excitantes pour maintenir l’intérêt du public. Mais passé la moquerie méta, ce trente-quatrième épisode démontre toute sa passivité. Ses seules propositions sont celles de caméos barrés, virgules d’un scénario qui ne s’encombre pas d’enjeux ou de sous-intrigues.
Que le deuxième acte du film se déroule sur un terrain vague, où se chamaillent des figurants autrefois connus, résume plutôt bien ses ambitions : Deadpool & Wolverine est comme une page blanche sur laquelle ses scénaristes écrasent des bouts d’idées, censées titiller les lecteurs de comic books et les théoriciens du dimanche, coordonnées par des blagues tirées à la sulfateuse. Une page blanche à laquelle Shawn Levy, recruté par Reynolds lui-même à la suite de multiples collaborations, n’accorde aucune couleur, aucune coupe, aucun relief. Les quelques élans dont il pourrait se targuer proviennent d’ailleurs. Et puis, il y a l’autre gars sur l’affiche. Hugh Jackman avait pourtant annoncé rendre les griffes après le magnifique western Logan. Ce Deadpool 3 ne peut se retenir d’y faire allusion, mais il s’engage également à ne pas salir l’héritage du plus bel épisode des X-Men. Pour Jackman, unique interprète du mutant griffu au cinéma, c’est l’occasion d’incarner un Wolverine bien différent du précédent, vêtu de sa célèbre combinaison jaune et dévoré par les regrets. Un trait qu’il partage avec son partenaire de jeu, peut-être le seul, et qui sert leur alchimie – la vraie grande qualité du projet.
Deadpool & Wolverine de Shawn Levy, 2h07, avec Ryan Reynolds, Hugh Jackman, Emma Corrin – Au cinéma le 24 juillet 2024.
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JACK6/10 SatisfaisantDerrière le commentaire d’une transition inéluctable (d'un univers cinématographique mort vers un autre) et la moquerie grasse, Deadpool et Wolverine glisse un soupçon de mélancolie quant à ces franchises qui ont tenté d'exister et leurs personnages, perdants mais touchants.
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Arno Pigeault8/10 Magnifique
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Thomas Hermier8/10 Magnifique
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Vincent Pelisse6/10 Satisfaisant