[CRITIQUE] Affamés – L’Horreur de l’homme

Affamés (Antlers) marque l’union de deux cinéastes importants de ces dernières années : Scott Cooper (Hostiles) à la réalisation est épaulé par Guillermo Del Toro (que l’on retrouvera très bientôt avec Nightmare Alley) à la production pour un film d’horreur fantastique adapté de la nouvelle The Quiet Boy de Nick Antosca. À Cispus Falls en Oregon, un jeune garçon taciturne (Jeremy T. Thomas) va éveiller la curiosité de son institutrice (Keri Russell) alors qu’il semble lié à de mystérieux événements qui vont perturber la ville et réveiller le passé et traumatismes de ses habitants.

La première réussite du film est la mise en place d’un contexte géographique et social concret dans lequel on peut croire à l’évolution des personnages, la mise en place de l’intrigue et du fantastique. Sans beaucoup de dialogue et en se reposant davantage sur l’image, Scott Cooper montre l’impact de l’industrialisation sur la population et l’environnement de cette petite ville nord-américaine, laissée pour compte et dans laquelle la nature et le mythe sont en train de reprendre leurs droits. Cette prise en compte de la région est cruciale pour la mise en place du récit et ses résonances historiques, écologique et politique. L’intention d’ancrer le film dans une région précise et le soin apporté à cet effet participent à détacher le film de la plupart des films d’horreur récents.

Affamés prend ses personnages à un moment décisif de leurs vies, quand ils s’apprêtent à affronter (ou réaffronter) leurs démons. Le pari de présenter des personnages déjà traumatisés, affectés par un lourd passé est tenu grâce à une caractérisation claire, misant là aussi plus sur l’image que le dialogue ainsi que des interprètes qui parviennent à rendre justement le drame et la profondeur de leurs personnages. La foi dans son histoire et sa mythologie est un des gros points forts du film. Affamés a confiance en son histoire, une confiance d’ailleurs exposée directement dans le film avec des personnages qui s’interrogent sur la place de la légende dans le monde contemporain. Sans jamais tomber dans l’autodérision et en assumant son parti pris sombre et pessimiste, le film croit en sa légende et en lui-même, un gout devenu trop rare.

Affamés baigne dans une atmosphère sombre et pesante très convaincante. La photographie de Florian Hoffmeister est aussi juste pour filmer la ville et ses environs sinistres et lugubres que les scènes horrifiques. L’image noirâtre couplée à quelques effets corporels très sanglants donnent des scènes mémorables. Une grande partie de l’intrigue se déroule dans des environnements très sombres, dans une ambiance très poisseuse et macabre, mais la technique impeccable rend toutes ces scènes lisibles et donne alors une identité visuelle forte au film et lui permet là aussi de se démarquer des récentes propositions horrifiques. L’horreur est réussie dans le film, se reposant davantage sur la tension et le drame humain des personnages que sur une surenchère d’effets sanglants. Les effets horrifiques du film sont bien dilués, Affamés a le gout de ne pas dévoiler toutes ses cartes d’entré et aménage sa tension et son mystère au long du récit.

Affamés reprend le folklore amérindien, qui s’intègre justement dans le récit de cette ville nord-américaine et transporte de pertinentes symboliques historiques et écologique. Le film crée également un monstre de cinéma réussi, tant dans sa conception plastique que dans son intégration dans le récit. En le reléguant en fin de film, Affamés n’exploite cependant que très peu le potentiel, à la fois horrifique et symbolique, pourtant bien réel de son monstre. Si elle est réussie et bien ancrée dans le récit et ses thématiques, la partie fantastique du film se retrouve alors être l’un de ses points les plus décevants. De même, quelques vacillants enchainements scénaristiques liés aux agissements des personnages, que l’on retrouve régulièrement dans les films d’horreur, nuisent à la fluidité de l’ensemble.

Sans atteindre le niveau des réalisations de Guillermo Del Toro, Affamés est par exemple plus réussi qu’une autre de ses productions, le Mama de Andrés Muschietti. Si les grands noms attachés au projet laissaient imaginer un film d’une envergure supérieure, les nombreux artisans de talents derrière Affamés parviennent à rendre le film unique et singulier. Son ambition, le soin apporté à la photographie ainsi que dans la conception du monstre et des scènes horrifiques, permettent au film de Scott Cooper de sortir du lot. Jouissant d’une mythologie traitée sérieusement, Affamés est toutefois davantage réussi dans la mise en scène de la dynamique familiale et du drame humain de ses personnages que dans le traitement de son potentiel fantastique.

Note : 3 sur 5.

L’avis de la rédaction :

Louan N.

Le folklore Amérindien est sans aucun doute envoûtant et le monstre que Cooper a choisi pour Affamés en est la preuve. Lorsque le film est entièrement axé sur l’horreur, c’est un divertissement de très grande qualité. En fin de compte, l’isolement de la petite ville d’Affamés, dans un cadre forestier, génère une tension palpitante tout en étant crédible en raison de l’isolement du lieu. On ne pourrait jamais suspendre son incrédulité si le film se déroulait, par exemple, dans les rues bétonnées d’une ville comme Londres. Il va sans dire qu’Affamés est extrêmement indélébile lorsqu’il plonge jusqu’au bout dans ses éléments mystérieux, mais il va un peu trop loin dans la direction du cliché en essayant de trouver une expression naturelle du traumatisme qu’il tente de dépeindre. Affamés aurait pu être un film d’horreur moderne déjà culte, classé parmi les meilleurs de ce siècle, si seulement Cooper et ses collaborateurs avaient réfléchi à leurs erreurs.

Note : 3.5 sur 5.

Affamés au cinéma le 17 novembre 2021.

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