Alors que Bird Box reste encore aujourd’hui l’un des plus grands succès de Netflix, la plateforme remet le couvert avec une version espagnole. La délocalisation du film, en péninsule ibérique, peut sembler un brin étonnante quand on sait qu’une suite directe était en rumeur depuis quelques années. Pourtant, c’est bien sous la forme du spin-off que les abonnés de Netflix découvriront l’élargissement de l’univers Bird Box. De ce fait, le sobrement nommé Bird Box Barcelona est-il à la hauteur de son prédécesseur ?
L’histoire se déroule dans le même monde post-apocalyptique que le premier volet, après que l’invasion de mystérieuses créatures ait provoqué la chute de la civilisation. À la vue de celles-ci, chaque individu est pris de terribles visions qui le poussent à se donner la mort. Ainsi, pour survivre dans ce nouveau monde hostile à la vie humaine, le reste de la population doit se bander les yeux.
D’entrée de jeu, le scénario de Bird Box Barcelona part sur les mêmes fondations que le film précédent. Sauf que, pour éviter la redite, celui-ci change de paradigme. Il nous plonge dans un environnement urbain qui contraste avec la forêt et les décors naturels du premier film. Et conscient du poids de son aîné, le long-métrage tente la radicalité dans les points de vue et met l’accent sur les “regardeurs”, cette catégorie d’individus qui tentent de forcer les survivants à enlever leurs bandeaux pour leur faire accepter la mort par suicide. Une idée originale (quand on sait que c’était l’un des mystères du précédent film) qui donne lieu à de nombreuses scènes de tension, d’actions divertissantes et à une exploitation du concept rafraîchissante.
D’ailleurs, c’est en cela que réside la grande qualité du nouveau film des frères Pastor : sa générosité. Sans réinviter le genre horrifique, loin de là, Bird Box Barcelona déborde d’idées, tout le temps. À tel point que parfois, on se demande si le genre du film est bien établi, oscillant en permanence entre thriller horrifique et survival d’action anxiogène. Aussi, en reprenant les codes du premier film (narration non linéaire, dynamique familiale…), le spin-off parvient à tirer son épingle du jeu. De ce fait, on trouvera dans les flashbacks les éléments de mise en scène les plus inspirés du film. À l’image du plan séquence du bureau, ou de la scène sur le toit de l’immeuble. Des moments où le film déploie à merveille les enjeux de sa narration, recherchant en permanence des effets de style servant à comprendre les tourments de ses personnages. Pas toujours subtil, mais diablement efficace.
Bien plus que de reprendre les éléments stylistiques du premier film, Bird Box Barcelona tente de prolonger les thématiques abordées dans le premier film. Dans Bird Box, Malorie (Sandra Bullock) peignait un tableau avec des personnages qui ne se regardaient pas dans les yeux. Elle dira d’elle-même qu’elle voulait montrer que la capacité à communiquer des humains était difficile voire impossible. Et dans la cité catalane, les protagonistes font face à une barrière cruciale pour communiquer : celle de la langue. Dans un bunker de survivants qui prend la forme d’une tour de Babel moderne, on parle espagnol, allemand, anglais. Les frères Pastor tentent de montrer que les différences issues des cultures rendent l’association difficile, même en temps de fin du monde. Sûrement un commentaire sur le nationalisme qui réémerge en Europe depuis une vingtaine d’années, et où la xénophobie fait rage de plus en plus. Du coup, on ne s’étonnera pas lorsque le récit s’attarde sur le personnage incarné par Patrick Criado (Antidisturbios, Casa de Papel) qui refuse la venue d’un étranger au sein de leur communauté. De plus, dans le groupe de survivants, on se joue des origines d’Octavio, livreur de pizza mexicain. Néanmoins, cet aspect sous-jacent de l’intrigue, très secondaire, paraît assez flou une fois le film achevé. On ne comprend pas bien où le film a voulu en venir, mais on peut saluer la volonté d’avoir tenté d’actualiser le concept de Bird Box aux thématiques actuelles européennes.
D’autre part, film post-apocalyptique oblige, le thriller horrifique des frères Pastor n’échappe pas à la comparaison avec les grands pontes du genre. Alors que c’était déjà l’un des grands reproches du premier film, Bird Box Barcelona ne déroge pas à la règle. La scène de fin du monde ne rappelle que trop bien la scène d’introduction de Sans un Bruit 2, tandis que de nombreux éléments de l’intrigue rappellent des idées issues de la licence The Last of Us. On sent l’admiration des réalisateurs-scénaristes pour ces œuvres, mais le film n’échappe ainsi pas à un sentiment de déjà-vu pour certaines séquences. Néanmoins, ce n’est pas qu’un melting-pot d’inspirations insipides. Tout cela est rattrapé par le fait que le film croit en permanence à ce qu’il raconte. Ici, aucune place au second degré (quitte à ce que l’intrigue touche parfois au kitsch, mais qu’importe). Bird Box Barcelona profite d’un casting efficace pour rendre crédible cet univers. On peut retenir la prestation pleine de charisme de Mario Casas (Innocent, Los Hombres de Pacotille), ainsi que des seconds rôles intéressants comme Georgina Campbell (Black Mirror). Notons aussi la présence dans le casting de Diego Calva, fulgurant Manny Torres de Babylon, qui ajoute sa pierre à l’édifice.
Si le film est incontestablement divertissant et traversé d’une véritable intention de bien faire, il n’échappe pas à la règle des productions cinématographiques de Netflix. Bird Box Barcelona est un spin-off pensé pour capitaliser sur le succès d’un film qui n’avait pas besoin de suite et qui se suffisait largement en lui-même. Par conséquent, le film des frères Pastor souffre de son ambition. Pas une véritable suite, pas un stand alone, le film doit respecter un cahier des charges bien défini. Quelques scènes d’action artificielles, des dialogues parfois très clichés, un épilogue rushé et bien d’autres séquences encore viennent ternir un ensemble bien trop inégal. De plus, – bien que ce soit une intention assumée des réalisateurs depuis longtemps – l’utilisation de certains CGI décrédibilise le réalisme et le premier degré voulu par le film. Ainsi, les décors en studio se remarquent et détonent avec les décors naturels, tombant dans une uniformisation qu’on connaît déjà des longs-métrages de la plateforme. Et c’est regrettable, tant on sent l’ambition des réalisateurs, habitués des productions européennes à gros budgets. Le souhait de vouloir faire quelque chose de différent, qui se démarque des productions moyennes, est évident. Mais la forme ne rend pas toujours service au fond.
Bird Box Barcelona est un divertissement efficace, rythmé et assez bien tenu. Néanmoins, il reste bien trop inégal pour s’imposer dans la durée comme une référence dans le genre, tant il semble loin de son homologue américain et de ses inspirations. Malgré tout, il devra plaire aux fans du premier film qui verront là une réinterprétation du concept de Bird Box. Dommage donc.
Bird Box Barcelona de David Pastor et Àlex Pastor, 1h50, avec Mario Casas, Georgina Campbell, Diego Calva – Au cinéma le 14 juillet 2023.