Le septième art et les vikings entretiennent un lien particulièrement étroit. Depuis 80 ans, les adaptations de mythes vikings se multiplient, que ce soit dans les salles obscures ou alors sur les écrans de télévisions. Pour analyser au mieux ce phénomène, nous avons donc dû ajouter dans notre corpus les séries télévisées, qui aujourd’hui sont nombreuses à évoquer le phénomène viking.
Pourquoi les spectateurs et cinéastes du monde entier sont-ils fascinés par les drakkars et les haches ensanglantés ? La réponse la plus évidente est que cette civilisation scandinave offre énormément de possibilités et de libertés pour créer des fictions historiques. Les bornes chronologiques des vikings s’étendent sur plus de trois siècles et surtout les bornes géographiques de ces voyageurs sont immenses. Divers environnements et de multiples antagonistes sont donc possibles pour ce peuple qui comprend à la fois des marchands, des pillards, des guerriers, des rois, des voyageurs et des religieux. De nombreuses histoires sont imaginables pour fictionnaliser les aventures de ce peuple qui offre un sentiment d’exotisme aux spectateurs américains.
Le premier argument pour cette viking-mania, ce sont donc les immenses possibilités et angles de vues possibles sur ce peuple. Que ce soit une fiction historique sérieuse, une épopée guerrière lyrique ou alors une aventure fantastique faisant appel à la mythologie nordique : tout est possible. Et dans la plupart des cas, le résultat est un spectacle impressionnant à l’écran. Que ce soient les immenses batailles de The Last Kingdom, les poursuites à chevaux de Vikings, le duel au sommet d’un volcan dans The Northman de Robert Eggers ou les drakkars du Vikings de Richard Fleischer : les vikings offrent des péripéties parfaites pour le grand écran. Et forcément, le grand spectacle attire les spectateurs, et donc les producteurs. Peu importe que ces films et séries impliquent des séquences difficiles à tourner, notamment en mer, le résultat est que les foules accueillent ces œuvres avec beaucoup d’entrain. Pour les cinéastes, ce sont donc des moyens de réaliser de grandes aventures, avec une portée morale ambigu. Les protagonistes vikings sont des anti-héros, qui se retrouvent dans des actes violents et des affrontements civilisationnels. Des personnages sur lesquels des réalisateurs peuvent donc s’amuser, sans jamais renier cette volonté de divertissement historique.
Forcément, avec les arguments précédents de grand spectacle, l’on comprend mieux pourquoi tant de productions jettent leurs dévolus sur les vikings. Mais en voulant réaliser de plus en plus d’œuvres sur cette période, sans parfois consulter de spécialistes historiques, l’on se retrouve avec un grand nombre d’anachronismes. Que ce soit dans des nanars comme Outlander et Pathfinder, ou dans des œuvres plus sérieuses comme Le 13ème guerrier de John McTiernan ou Valhalla Rising de Nicolas Winding Refn, les clichés pullulent. Il suffit de s’intéresser quelque peu aux rites nordiques, à la religion et mythologie des vikings, pour observer que la plupart des œuvres ne se servent du mysticisme que comme une forme de croyance exotique. Le Thor ou le Odin du Marvel Cinematic Universe n’ont jamais vocation à incarner une forme de représentation religieuse et ne reste que dans l’aspect super héroïque en plus d’une dizaine d’années d’apparition. Un défaut qui est certes dû aux comics originaux, mais révélateur d’une certaine nonchalance vis-à-vis de ces mythes, de la part des productions occidentales. La religion ne sert que de moyen d’amener à l’affrontement, notamment face aux chrétiens. Cette notion d’antagonisme entre deux camps qui se font la guerre est primordiale dans les films vikings, puisqu’un grand nombre de ces œuvres reposent sur cette dualité. L’intérêt de nombreux héros est d’ailleurs de se retrouver divisé entre ces deux mondes que ce soit dans Vikings (la série télévisée) ou dans la trilogie Dragons de Dreamworks.
Cette division entre les mondes est justement l’un des attraits principaux des films vikings puisqu’elle apporte à la fois des péripéties lors des rencontres guerrières, des aventures puisqu’elles donnent aux vikings un cadre d’exploration et même de la complexité car c’est un peuple qui traverse justement les frontières. Que ce soit celles entre les peuples scandinaves, celles des royaumes chrétiens d’Europe ou encore les rivages d’une Amérique moyenâgeuse, les vikings repoussent sans cesse les limites géographiques pour se retrouver confronter à des questionnements identitaires. C’est un aspect que l’on retrouve même dans les plus mauvais films de ce genre, notamment dans Pathfinder ou le protagoniste est mi- amérindien mi- viking. Et c’est parfois même l’intrigue principale de certaines œuvres, comme The Last Kingdom qui a construit cinq saisons sur la quête identitaire de son personnage principal, tiraillé entre deux mondes.
Un autre de ces clichés que l’on retrouve en surabondance est cette notion de violence et de brutalité qui caractériserait ce peuple. Cette vision est évidemment tirée des sources occidentales, qui considèrent les vikings comme des barbares et qui ne les perçoivent d’abord que par les pillages, les massacres et la guerre. Il est intéressant de remarquer que la surreprésentation des sources occidentales, et ecclésiastiques, donne aujourd’hui des visions stéréotypées d’un peuple qui effectue pourtant le commerce, des traités de paix et même des mariages. Toutes les œuvres traitant de vikings n’échappent pas à la scène de bataille remplies d’effusions de sang, d’hurlements et de cadavres. Il n’existe que peu de longs-métrages qui se déroulent dans la société viking, sans montrer de guerre ou des violences, comme si celles si sont indissociables de la période.
La raison est évidente : même les adaptations de textes nordiques adaptent donc des épopées guerrières, notamment l’histoire de Beowulf. Et cette violence guerrière se retrouve dès les premiers courts-métrages en 1907 avec The Viking’s Bride qui évoque l’enlèvement de l’épouse d’un guerrier viking, et donc sa vengeance ensuite. Cette thématique de la vengeance parcourt beaucoup d’œuvres sur les vikings, de Fritz Lang avec son adaptation de Sigurd jusqu’à la série The Last Kingdom récemment en passant bien sûr par le film de Richard Fleischer. Une idée qui tire son origine à la fois des vengeances que l’on retrouve dans les textes nordiques mais aussi de l’idée que l’on se fait du code moral moyenâgeux, avec la volonté de défendre son honneur ou de le venger. Ce mélange de deux cultures donne donc le résultat que l’on connait aujourd’hui : des clichés qui forment un ensemble de codes. On peut donc considérer le film de viking comme un genre cinématographique unique, qui comprend la vengeance, la lutte entre deux civilisations/ clans/ classes sociales et le tout imprégné de religions ou de mysticisme.
C’est quoi le cinéma de Vikings selon l’occident ? Un ensemble de codes narratifs et esthétiques qui forment donc un cadre précis de nos représentations nordiques. Un affrontement entre deux groupes sociaux, qui se résout par la violence au nom de dieux différents. Ce résumé pourrait convenir à un grand nombre de films différents mais en restreignant les possibilités ils inspirent un grand nombre de cinéastes. De Mario Bava à Nicolas Winding Refn, beaucoup mettent leur style particulier sur ce genre codifié pour en tirer tout son potentiel. Ce n’est pas tant la violence ou l’exploration qui intéresse les réalisateurs, mais plutôt le rapport que nous entretenons avec ces représentations justement. Un cinéma qui s’auto-parodie non pas dans une forme de cynisme mais plutôt comme un hommage. Si les vikings et leurs envies de liberté fascinent encore autant c’est bien que les spectateurs réussissent à se reconnaitre dans ces anti-héros voyageurs.