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Vol à haut risque | Air FAF One

« Tu le méritais » avouait-il à son ex-femme après l’avoir frappée. « Tu ressembles à une chienne en chaleur et si tu te fais violer par un groupe de n****s, ce sera de ta faute. » Ces immondices parachèvent la triste fin de carrière de Mel Gibson. Dur de faire dans la demi-mesure lorsqu’on parle de cette star habituée aux excès. Lui qui était l’un des fleurons du Hollywood des eighties et nineties, enchainant succès critiques et publics à la pelle au point de devenir une icône mondiale. Devenant à la fois un acteur respecté et un réalisateur fascinant, sorte de David Lean barbare.

Sur 32 ans, il n’a sorti que six long-métrages derrière la caméra. Une économie que l’on doit à l’ampleur de ses projets comme aux pics et descentes de sa vie privée. Sorte de jumeau MAGA du rappeur Kanye West dont il partage la folie des grandeurs, la bipolarité, l’addiction à l’alcool, les dérapages antisémites, les agressions sexuelles et la bromance avec Donald Trump. « Je suis content que Trump soit là. C’est comme si papa était arrivé et qu’il enlevait sa ceinture, » vomissait Gibson il y a quelques jours sur Fox News. Provocation supplémentaire flattant les bas instincts du patriarcat qui appuie sa nouvelle position octroyée par le 47ème président des Etats-Unis : « Vous savez que j’ai nommé Mel Gibson, Sylvester Stallone et Jon Voight à titre d’ambassadeurs à Hollywood pour remettre l’industrie sur les rails. » Ça promet… Surtout de la part de trois has-been dont l’âge cumulé nous renvoie à la création du dollar. Et ne parlons même pas de la santé mentale du Mad Mel burinée par la gnôle et la paranoïa victimaire. Pas avare en déclarations antisciences, sa promotion de Vol à haut risque témoigne de sa déliquescence intellectuelle. Celle d’un homme rongé par ses démons dont on a cru un instant à la rédemption.

Comment s’intéresser une seule seconde à ses futurs projets ?
On l’a cru un moment rattaché au remake de La horde sauvage avant l’arlésienne Résurrection du Christ. Le voilà qu’il nous revient avec un tout petit film aux antipodes de ses fresques à gros budgets dont il était coutumier. Intéressant d’en noter le timing de diffusion ouvrant cette deuxième Trump era alors que Tu ne tueras point sortait durant la première élection en novembre 2016.

Curieuse ponctuation du calendrier au souvenir doux-amer tant ce film de guerre s’impose d’année en année en référence moderne du genre. Sa radicalité des scènes de bataille demeure inégalée, filmées pour ce qu’elles sont : des boucheries nihilistes inutiles. Souvenons-nous de la scène où un soldat utilisait le buste fraichement fendu d’un frère d’armes, tripes à l’air, comme d’un bouclier tout en rafalant les troupes japonaises d’Hacksaw Ridge. Des éclairs de rages que n’aurait pas renié Sam Peckinpah et qui reprenaient les traumas de Spielberg sur les plages de Normandie d’Il faut sauver le soldat Ryan.

En dépit de son héros virginal objecteur de conscience, Tu ne tueras point n’avait pas peur de regarder l’horreur en face. Loin, très loin de la prétention proprette d’un Dunkerque de Christopher Nolan qui reçut tous les louanges un an plus tard alors qu’il passait à côté de son sujet. Le film de guerre ne devrait pas être une œuvre confortable, grand public et divertissante. Elle doit déranger, saisir la laideur et nous la renvoyer. Viscéral et habité, Tu ne tueras point fut donc un retour en forme inespéré pour l’époque, partagé entre une moitié Paradis et l’autre Enfer. Ange et Démon, cette même dualité qui étreint son auteur schizophrène, capable du meilleur comme du pire. À ce titre, Vol à haut risque ne bénéficie pas de la même sophistication. Pire, il témoigne d’un renoncement artistique prégnant.

Une US Marshal escorte un informateur à bord d’un avion privé de l’Alaska jusqu’à New-York pour témoigner contre la mafia. Leur pilote se révèle être un tueur à gages sadique (Mark Wahlberg) chargé d’exécuter le mouchard. Commence alors un jeu de massacre en haute altitude sur fond de complot et de corruption.

Copyright Lionsgate

Copyright Lionsgate

Expédions les bons points d’entrée. La bondieuserie tendance témoin de Jéhovah est absente. Non négligeable car dans ses morceaux de bravoure, Gibson avait la main lourde. Les parallèles religieux s’imposaient jusqu’à l’overdose avec une symbolique plaquée au forceps. Pourtant, même dans un projet Ô combien boursouflé, La Passion du Christ réussissait sa scène clé : la flagellation de Jésus dont les dix minutes n’éludaient aucun détail sadique du supplice.

Seul le désir de distraire le spectateur dicte la profession de foi de Vol à haut risque. Son concept tient d’ailleurs du pur exercice de style : trois personnages et un cockpit duquel nous ne sortirons jamais. Le scénario vient de la célèbre Black List et n’est donc pas adaptée d’une histoire vraie prête à l’Oscar. Ici, nous sommes dans la série B assumée la plus basique. Sans ambition, bas de plafond, se voulant populaire et artisanale. Le tournage a pu échapper en 2023 à la grève des scénaristes à cause de son statut de film indépendant sous le radar. Sur le papier, si l’on fait fi de la persona de Gibson, il y a donc tout pour plaire : une star du cinéma d’action à contre-emploi (Mark Wahlberg), un réalisateur chevronné capable de s’approprier un matériau de base classique, un high concept cool et une durée totale raisonnable (1h30).

L’enfer est pavé de bonnes intentions car si Gibson se rêve en maverick du cinéma, il n’en a que l’apparat. Un certain savoir-faire hitchockien traverse sa première heure, mettant en valeur l’économie d’éléments matériels et humains de son postulat. Très vite, le film devient piégé par sa prison volante et peine à nous intéresser. C’est bien que Wahlberg aille chercher son Jack Nicholson intérieur et pousse le cabotinage psychopathe dans ses ultimes retranchements. D’autant plus que sa calvitie ajoute au plaisir du surjeu. Il y a une joie communicative chez lui à se rouler dans la fange, être un sale gosse, sourire carnassier aux lèvres, moumoute ridicule et allusions homoérotiques à son passé en prison. D’après Gibson, beaucoup de ses répliques sont improvisées par Marky Mark himself. Quel délice ! Une dévotion ignorée par le film qui se contente de lui racler la peau des mains pour se libérer de menottes et l’écraser par une ambulance à peine l’atterrissage établi. Un gâchis ! On en redemandait encore. Ça aurait dû dérailler plus loin. Le final aurait été cette surenchère grand-guignolesque avec lui au centre. Le huis-clos aérien en aurait été l’annonce. Lorsque Scorsese a la même démarche et clôt Les nerfs à vif, il piège Nick Nolte et sa famille avec un De Niro déchainé sur un bateau en pleine tempête la nuit. Il y a une compréhension absolue des fantasmes du cinéma bis et Gibson y échoue. Manque de bol, c’était sa seule légitimité, sa boussole !

Le film d’exploitation est putassier et régressif par nature. Alors pourquoi l’évacuer par une happy end rassurante digne d’un téléfilm TF1 du dimanche ? Avec une bonne morale rance où la flic vertueuse vient à bout de tous les défis complexes qu’ils soient matériels, humains ou structurels. Qu’un film de FAF soit un film de FAF c’est une chose. L’église au milieu du village, le respect de l’autorité, la justification des institutions étatiques et leur violence, on connait la chanson. Nous en avons eu des exemples somptueux tels que Bac Nord de Cédric Jimenez ou encore Traîné sur le bitume de S. Craig Zahler. Le point de vue conservateur s’entend du moment qu’il se place dans une entreprise esthétique pertinente. Voire qu’il pousse les limites idéologiques pour les entrainer vers des terrains expérimentaux, épiques ou existentialistes. Or, la modestie des moyens ne protège pas du constat frustrant. Vol à haut risque ne convainc pas. Il ne justifie pas d’avoir été financé, tourné, monté et sorti. Deux jours après, on l’a déjà oublié. Un comble pour un cinéaste qui avait jusqu’à présent réussi à ne laisser personne indifférent.

|Au cinéma le 22 janvier 2025