[RETROSPECTIVE] La Forteresse noire – Maudite interlude

Dans les filmographies de grands réalisateurs on trouve régulièrement des films maudits. Ces long-métrages, dont le tournage ou la post-production sont particulièrement éprouvants, sont parfois renier par les cinéastes comme David Fincher avec son Alien3, ou retravaillés ultérieurement comme Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Mais pour avoir la chance de retravailler ses projets dans plusieurs versions au cours des décennies il faut les bonnes faveurs des studios de productions hollywoodiens, ce qui n’est pas forcément le cas de tout les réalisateurs dont notre chouchou du moment : Michael Mann. Pour cette seconde partie de notre rétrospective sur cet immense auteur américain nous nous intéresserons donc à l’un de ses films les plus flamboyants, et pourtant les plus difficiles à tourner, entrez avec nous dans La Forteresse noire, le film maudit de Michael Mann.

A la sortie du Solitaire, son premier long-métrage, le réalisateur reçoit de nombreuses productions des studios et des scénarios par dizaines. Pourtant un problème se pose : ce sont quasiment toutes des propositions de polars ou de thrillers, et le cinéaste souhaite à tout prix éviter de se retrouver catégoriser dans un genre en particulier. Il se dirige donc plutôt vers l’adaptation d’une œuvre fantastique de Francis Paul Wilson intitulé La Forteresse noire ou Le donjon lors de sa publication française. Le roman relate donc l’arrivée de nazis dans une forteresse roumaine, qui semble se protéger contre un danger intérieur plutôt que l’extérieur. Au cœur de ce lieu mystique ils vont libérer un démon enfoui depuis des millénaires et devoir lutter pour s’enfuir. Loin d’être un simple conte ou film fantastique banale, le réalisateur créer une œuvre condamnant le nazisme, un film psychologique intéressant et un hommage évident à ses inspirations sur lesquelles nous allons revenir.

L’inspiration qui saute aux yeux c’est bien évidemment le cinéma expressionniste allemand. Michael Mann reprend ici des motifs visuels et parfois même des plans de certaines œuvres de ce mouvement que ce soit Le Golem de Wegener et Boese, qui devient ici Molassar la créature monstrueuse et boggeyman du film ou encore Faust, une légende allemande de Murnau. Cette influence devient sur le tournage un hommage puisque le réalisateur va utiliser certains projecteurs datant justement des années 1920 pour créer des ambiances rappelant les longs-métrages gothiques. Les environnements expressionnistes, tortueux et délabrés viennent signifier l’esprit des protagonistes, complexe et dans une forme d’ambiguïté malsaine. Cette volonté de reprendre un mouvement très caractérisé esthétiquement vient également mettre en lumière le fait que Mann est un cinéaste du visuel. Il brasse de nombreux chef d’œuvres expressionnistes non pas pour créer un film patchwork mais au contraire pour inscrire son œuvre dans une lignée, et par ce geste il se rapproche, à sa manière, de Murnau et Lang.

Avec La Forteresse noire on va donc parler de film maudit. Par ce terme nous ne faisons pas références au démon hantant l’environnement mais tout simplement a la catastrophe que fut le tournage du film. Wally Veevers, technicien sur les effets spéciaux, s’occupe donc de la créature soit le point d’orgue du long-métrage. Mais très vite un problème se pose : Veevers décède et ne peut donc pas terminer la post-production. D’autres spécialistes des effets-spéciaux tentent de reprendre Molassar sans jamais réussir à le rendre réellement effrayant, ce qui gâche le potentiel de cette œuvre. En plus de cela Mann dépasse son budget, et son temps de tournage avec une centaine de journées de travail. Les acteurs et techniciens doivent sans cesse alterner entre le studio et la carrière de pierres ou sont tournés les scènes en extérieurs, ce qui fatigue l’ensemble de l’équipe. Face à cet ensemble qui s’effondre et pour éviter un plus grand gâchis financier la production coupe les vivres et Mann se retrouve isolé. Son montage original de 210 minutes compilant horreurs nazies, occultisme millénaire et dualité entre deux immortels laisse place à un film d’une heure et demie dont il ne reste plus grand-chose des thèmes originaux.

La Forteresse noire est un échec critique et financier, le plus gros bide de la carrière du cinéaste. Pourtant on ne peut s’empêcher de lui trouver un certain charme. Sa musique kitsch, sa surdose de brouillard à chaque scène ou encore son manichéisme rappelle fortement les années 80 d’où est issu ce second long-métrage. Et puis il y a dans cette histoire dramatique quelque chose de sensiblement émouvant, les massacres nazis horrifient tout d’abord le spectateur qui donc rejoint le camp moral du démon punissant les soldats. Cette créature éternelle et monolithique reprend le contrôle, une sensation rassurante après les horreurs de la seconde guerre mondiale, cette idée qu’il existe des forces immortels protégeant ce monde. La forteresse noire est remplie d’idées philosophiques intéressantes, dont il ne reste que quelques traces après le passage de la post-production, des fossiles et autres indices que l’on essaye sans cesse de retrouver. Dans ces infimes souvenirs d’un projet ancien il y a de la beauté. Michael Mann a jusqu’au bout protéger certaines idées au dépend de la réussite de son film. Un film maudit donc, mais l’avantage des malédictions c’est qu’elles sont éternelles.

C’est quoi le cinéma de Mann ? Avec ce second long-métrage le cinéaste originaire de Chicago s’éloigne des polars urbains pour une incursion dans le fantastique gothique. Le résultat est un échec qui renverra notre réalisateur dans les cordes de la télévision. Mais quelque part, dans cette ruine financière et ces critiques assassines il existe une certaine beauté à ce qu’une telle œuvre existe. Malade, amputée des 2/3 de son film, terminée sans moyens mais surtout vivante. Elle existe, et elle existera toujours, venant sans cesse garder le souvenir de tous les techniciens l’ayant fait vivre. Michael Mann tente aujourd’hui d’oublier son plus grand échec, mais il y a ce petit quelque chose de touchant à voir une œuvre se libérer de sa forteresse de l’oubli.

La Forteresse noire de Michael Mann, 1h36, avec Ian McKellen, Scott Glenn, Alberta Watson – Sorti le 2 mai 1984 en salle

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