Lorsqu’on s’initie au cinéma, l’accès aux œuvres de Park Chan-wook commence souvent par la découverte d’Old Boy, le chef-d’œuvre par excellence du cinéaste sud-coréen. Les cinéphiles se piquent alors de curiosité pour ses réalisations antérieures. Si l’on peut comparer Park aux Beatles, considérons Old Boy comme son “I Wanna Hold Your Hand“, tandis que bien avant cela, il a captivé son public avec le bijou discret qu’est Sympathy for Mr. Vengeance, peut-être son “Love Me Do” ? Ce film sombre et poignant nécessite une certaine préparation pour le spectateur non averti. Cependant, Park se révèle être un auteur intrépide ; découvrir son œuvre équivaut à contempler une tornade : magnifique à observer, mais susceptible de semer une dévastation émotionnelle.
Si Joint Security Area a marqué les débuts de Park sur la scène cinématographique (étant son film le plus lucratif), Sympathy for Mr. Vengeance représente un éloignement de ce succès, dévoilant un artiste trouvant une certaine jouissance dans la souffrance humaine. Cette œuvre difficile à appréhender est une histoire incroyablement nihiliste, traversant bon nombre des productions de Park, offrant une plongée dans les méandres de la lutte des classes, thématique omniprésente dans le cinéma sud-coréen, tout comme dans la filmographie de son confrère Bong Joon-ho (Parasite, The Host). Dans notre sujet du jour, l’attention se porte sur deux figures convergentes, l’une démunie, l’autre aisée, se retrouvant toutes deux dans des situations désespérées. Ryu, travailleur sourd dans une aciérie, doit faire face à une sœur nécessitant une greffe de rein. Lorsqu’un trio de trafiquants de drogue lui dérobe ses économies et son rein, il se retrouve sans recours, affublé d’une cicatrice douloureuse. Sa compagne, Cha Yeong-mi, militante politique passionnée, échafaude un plan pour kidnapper Yu-sun, la fille de Dong-jin, afin d’obtenir une rançon pour la greffe. La rançon arrive juste avant le décès de la sœur de Ryu, tandis que, lors de l’inhumation, Ryu, sourd, provoque par accident la noyade de Yu-sun, transformant une tragédie en une autre. À ce moment, l’histoire se transforme en une quête de vengeance menée par Park, submergé par le chagrin et la stupeur, ignorant les conseils de la police, résolu à punir les kidnappeurs de sa fille. Il ne s’agit pas d’une vengeance traditionnelle, où l’excitation monte pour voir le héros triompher, mais d’un périple empreint de conflits intérieurs.
Cette démarche est méthodique et délibérée, le cinéaste façonnant le récit de deux trains d’émotion folle, envoyant les protagonistes sur une trajectoire de collision. Ryu venge les trafiquants d’organes avec une batte, tandis que Dong-jin utilise un dispositif pour électrocuter Yeong-mi. Les deux parties se retrouvent au bord du même lac où reposent leurs êtres chers, mais aucun acte de vengeance ne saurait apporter la paix aux deux hommes. L’écriture est donc parsemée de déferlantes violentes et de dilemmes moraux persistants. La force réside ici dans son utilisation et sa manipulation du son. La surdité de Ryu est un élément crucial de l’intrigue, du style de Park et de sa mise en scène. Les sons et les conversations sont souvent hors champ pour Ryu, mais parfaitement audibles pour le public. Les voisins de Ryu perçoivent à tort les cris de douleur de ses sœurs comme des moments de plaisir sexuel. Dong-jin entend une station de radio voisine où le DJ lit une confession de Ryu à l’antenne. Et puis il y a la conception sonore des cigales chantant, de l’eau éclaboussant et de la peau se faisant transpercer. Dans Sympathy for Mr. Vengeance, le son devient une forme de torture à part entière. Il s’inscrit dans le portfolio de Park comme un film à revaloriser. La photographie, signée Kim Byeong-il, est impressionnante. Les couleurs souvent atténuées, voire inexistantes, laissent place à des éclats de rouge vif tel un tableau de Jackson Pollock. Cependant, c’est avec cette œuvre que Park démontre qu’il ne se limite pas à des clichés narratifs, mais qu’il est capable de tisser une narration riche et complexe.
Le titre – Sympathy for Mr. Vengeance – met le public au défi de décider : devons-nous éprouver de la sympathie pour ces personnages ? La réponse est oui, mais l’auteur nous invite à observer les vies de personnages complexes. Gagner notre sympathie dépend de qui nous sommes en tant qu’individu. Park ne cherche pas à édulcorer la réalité pour le public. Quelle que soit notre condition sociale, les cartes que la vie nous a distribuées, il n’y a pas d’échappatoire à l’inéluctable destin de l’humanité. La sympathie que Park nous offre réside dans les vies de ces personnages : maladie, handicap, perte, dépendances à la drogue. L’impuissance à aider ceux dans le besoin.
Un an plus tard, Park Chan-wook réalisera Old Boy, reléguant Sympathy for Mr. Vengeance au rang de souvenir lointain pour tous sauf les plus fervents admirateurs. Cependant, c’est ce celui-ci qui a lancé sa trilogie de la vengeance, le propulsant sur la voie de réalisations reflétant une brutalité sombre et une tragédie sincère. Vous n’aimerez peut-être pas le résultat final. Park n’attend pas de sympathie de la part du public. Néanmoins, il vous offrira un spectacle à couper le souffle, choquant et fascinant. Si Sympathy est votre première incursion dans l’univers du réalisateur, vous vous demanderez avec impatience ce que vous réserve la suite.
Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan-Wook, 2h, avec Song Kang-Ho, Shin Ha-Kyun, Doona Bae – Au cinéma le 3 septembre 2003, ressortie le 6 mars 2024