Pour célébrer le 15e anniversaire du festival Lumière, l’événement profite de l’occasion pour projeter des films emblématiques de son histoire. Notamment, il offre aux spectateurs la chance de redécouvrir ces films sur grand écran. Un de ces films est L’Exorciste dans sa version director’s cut, qui demeure un pilier essentiel du genre horrifique et du drame familial, caractérisé par des ambiguïtés morales profondes. Réalisé par William Friedkin, le film résonne encore aujourd’hui, tant dans la mémoire des personnes qui l’ont vécu lors de sa sortie en 1973 que dans celle de celles qui ont découvert sa version longue, sortie en 2001.
Cette version director’s cut introduit inévitablement des ajouts de scènes, certains radicaux et fascinants (notamment la célèbre descente d’escaliers en position araignée de Linda Blair, terrifiante, et une visite chez le médecin), tandis que d’autres paraissent parfois un peu grotesques (comme les images subliminales mais très explicites de Pazuzu, ce qui peut susciter des interrogations quant à l’ambiguïté originelle du film). On peut également noter la présence d’un dialogue final entre Dyer et Kinderman, qui semble ajouter sans grand intérêt. Cependant, ces éléments n’entachent que légèrement l’ensemble du film réalisé par Friedkin en 1973, qui a scruté les peurs primaires avec autant de précision que le jeu de la jeune actrice Linda Blair (âgée de seulement 14 ans à l’époque), qui a subi deux heures d’une performance tout aussi éprouvante pour le personnage que pour le public.
Comme à son habitude, ce réalisateur du Nouvel Hollywood, bien qu’unique parmi ses pairs (Coppola, Scorsese, Peckinpah, Pakula, etc.), explore l’obsession au plus profond et expérimente sans réserve. Dans L’Exorciste, il plonge dans un abîme sombre et malveillant, où la vie semble revêtir une importance encore plus cruciale que dans ses autres films. Il est important de rappeler que cette adaptation du roman éponyme de William Peter Blatty peut également être considérée comme un pur film d’auteur, car elle reflète les tourments et la vision du réalisateur. Après French Connection, qui abordait déjà, d’une certaine manière, la contamination du mal et la manière dont l’humanité peut sombrer dans ses pulsions les plus primaires, se perdre dans un chaos déstructuré (avec des policiers douteux dans une histoire de drogue), William Friedkin explore ici le moment où une jeune adolescente se bat contre l’indicible, le surnaturel, le mal sans caractérisation claire, ou plus simplement, le diable en personne.
Regan incarne cette adolescente innocente qui n’a rien demandé, dont le corps et l’esprit sont irrémédiablement perturbés par un démon nommé Pazuzu, découvert dès l’introduction du film en Irak lors d’une fouille archéologique par le père Merrin. Par la suite, l’histoire se concentre sur la famille MacNeil aux États-Unis, en particulier sur Chris, une actrice dont le mari est en déplacement à Rome, et qui vit paisiblement avec sa fille Regan. Friedkin réussit rapidement à nous attacher à cette petite unité familiale, ne prenant jamais ses distances avec sa caméra, laissant le spectateur juger de ce qui est bien ou mal. Cette connexion est encore renforcée par le personnage du père Karras, dont le passé trouble et la perte de sa mère deviennent des éléments esthétiques puissants lorsqu’il se retrouve contraint d’exorciser la jeune Regan.
Friedkin se lance incontestablement dans un double défi : susciter à la fois la terreur et l’empathie, en particulier lors des séquences où Regan est tourmentée à la fois physiquement et mentalement par le démon. En cela, le film s’inscrit parfaitement dans la tradition des histoires de chute, au sens littéral et figuré, que le réalisateur a toujours cherché à représenter. Ici, une jeune fille dont le corps et la chair sont réduits à un état presque magmatique, déshumanisés dans leur représentation graphique, tandis que l’animosité propagée par le parasite (Pazuzu) semble être la phase terminale de la mutation d’un corps hôte et d’un esprit vulnérable. L’intervention d’un homme qui doit affronter ses démons intérieurs et psychologiques prend une dimension puissante lorsque Pazuzu révèle les circonstances de la mort de sa mère, alors qu’il tente de guérir la jeune fille.
À travers L’Exorciste et ses autres films (Sorcerer, To Live and Die in L.A., Cruising, Traqué, Bug, Killer Joe, entre autres), on peut comprendre que le cinéma de Friedkin explore essentiellement le thème de la possession et de ses modalités d’existence. Dans ce drame horrifique, il s’agit essentiellement de la contamination venue des abysses de l’enfer (incarnée ici de manière très explicite par le diable lui-même), corrompant le corps d’une jeune fille et l’esprit d’un homme, obsédant psychologiquement deux âmes égarées.
Ainsi, dans un final aussi épuisant que captivant, le père Karras finit par céder à l’incarnation du mal absolu, au diable, pour sauver une jeune fille de l’emprise d’une contamination dépourvue de limites. Il ne s’agit pas de choisir un camp, mais d’accepter de révéler l’inacceptable, de franchir un point de non-retour, tout au long du film. William Friedkin a un jour déclaré : “Je n’ai pas de boussole morale”, et son cinéma se résume précisément à cela : affronter le mal, soumettre le spectateur au test et à la puissance évocatrice du mal. Tout cela interroge l’ambiguïté inhérente à l’humanité inscrite dans le code génétique des personnages de William Friedkin, faisant de ses meilleurs films des œuvres fascinantes à revoir encore et encore.
L’Exorciste, de William Friedkin, 2h20 (director’s cut), avec Linda Blair, Ellen Burstyn et Max von Sydow – Ressorti en salle en 2001 pour sa version director’s cut
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Axel Errero10/10 This Is CinemaÀ travers L’Exorciste mais aussi ses autres films (Sorcerer, To live and die in L.A, Cruising, Traqué, Bug ou encore Killer Joe), l’on peut comprendre que le cinéma de Friedkin ne traite au fond que d’un sujet central : celui de la possession et de ses conditions d’existence et de possibilités.
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