Quand on s’attarde un instant sur le premier volume de Kill Bill de Quentin Tarantino, en s’appuyant notamment sur le personnage d’O-Ren Ishii joué par Lucy Liu, on constate immédiatement que le réalisateur ne s’est pas simplement contenté d’être inspiré, mais a fermement tenu à faire un hommage à Lady Snowblood. Sorti en 1973, ce film japonais réalisé par Toshiya Fujita a maintenant cinquante ans et fait partie de ses films les plus notables. Quentin Tarantino a pu le confirmer il y a maintenant vingt ans, en s’accaparant le matériau de Lady Snowblood pour nous servir son diptyque. En visionnant le film, ce propos devient évident, surtout quand la thématique de la vengeance est aussi bien traitée. Prenons alors le temps de consacrer un retour sur Lady Snowblood qui dépeint une fois de plus une histoire d’une femme vengeresse.
L’idée directrice qui guide ce traitement de la vengeance dans Lady Snowblood s’établit autour de la personnification de la vengeance incarnée par le personnage de Yuki Kashima. Le premier acte se décline en chapitres et construit le cadre du récit où l’on apprend que la naissance de Yuki est le fruit d’une vengeance mise au point par sa mère, qui passe, naturellement, le flambeau à sa fille. Sans contextualiser de manière précise la cause de cette vendetta, celle-ci se justifie par le meurtre de son mari, de leur fils, et par son viol. Tous ces griefs sont, par conséquent, ce qui guide la vengeance exposée dans Lady Snowblood. Il n’y a pas plus nette évidence quant à l’incarnation humaine de ce thème, surtout lorsque les premiers mots de la mère pour sa fille, qui vient d’être mise au monde, sont « Tu es née pour la vengeance. ». Cette réplique expose, de manière théâtrale, les enjeux de l’intrigue. Le décor, dans lequel la neige s’invite, intensifie l’essence poétique de cette scène, et par extension Toshiya Fujita s’en abreuve pour nous conter son histoire. Cette approche de la vengeance ne fait qu’enrichir l’impact et le crédit du récit, le film en est donc très appréciable. La narration est telle qu’il est plaisant de suivre son déroulé, du premier chapitre qui tient lieu naturellement d’introduction, et des chapitres suivants qui relatent l’exécution de l’histoire. Quand on découvre Lady Snowblood aujourd’hui, le film survit à l’épreuve du temps et présente toujours un récit lyrique secondé par le spectacle violent qu’offre ladite vengeance.
L’oeuvre de Toshiya Fujita s’apparente, à bien des égards, à Kill Bill, ou, plus justement, Kill Bill s’apparente à Lady Snowblood. Quentin Tarantino puise dans ce film une source d’inspiration inépuisable. Comme évoqué auparavant, le personnage d’O-Ren Ishii suit les traces de Yuki et l’on remarque une grande similitude dans leurs histoires. Toutes les deux sont des purs produits de la vengeance et ont été forgées pour tuer. Bien que Yuki suit une voie plus digne, Quentin Tarantino ne nous méprend pas sur l’inspiration de son personnage, cela va même jusqu’à reproduire le même type d’habit et de sabre japonais de Yuki. La cinéphilie du réalisateur s’exprime encore et toujours et l’intention de Quentin Tarantino de rendre hommage à Lady Snowblood contribue significativement à la longévité du film. La mise en scène de Toshiya Fujita a quelque chose de singulièrement moderne car elle exprime de manière grandiloquente les instants cruciaux du film. Avec ses zooms prononcés, les différents bruitages, ou encore les effusions abondantes de sang, le film se distingue par ses codes précurseurs sur le genre du thriller. Quentin Tarantino s’assure seulement de la pérennité de l’œuvre. C’est un grand amoureux de cinéma, mais également de musique, car il réutilise dans Kill Bill la chanson « The Flower of Carnage » de Meiko Kaji, le thème principal de Yuji dans Lady Snowblood. Le découvrir après avoir vu et revu le dytique, confère au film de Toshiya Fujita un second souffle. Néanmoins, c’est bel et bien parce que le film détient ses qualités propres qu’il est possible de lui confier un caractère intemporel. Ce que Quentin Tarantino fait réellement en s’appropriant le film, c’est mettre l’accent sur ce qu’il propose de mieux : une mise en scène et une narration animées par l’épique, une approche thématique de la vengeance poétique, entière et profondément incarnée. L’œuvre de Toshiya Fujita est empreinte d’une beauté pour son histoire, pour son personnage, et par sa manière de l’apposer à la violence.
Lady Snowblood dispose de beaucoup de matière pour servir un grand film sur la vengeance. Son traitement a tout d’un conte avec, d’un côté, cette personnification, et d’un autre, la mise en scène qui poétise les espaces, les enjeux et les dialogues. Dans ce cas de figure, il est impossible de reprocher à Quentin Tarantino d’extirper l’âme de ce film pour magnifier sa propre histoire. De manière plus implicite avec La mariée était en noir de François Truffaut, ou de manière explicite avec Lady Snowblood. Le catalogue que se construit Quentin Tarantino enrichit à la fois sa filmographie et les films dont il s’inspire. Au-delà des références, Tarantino rend hommage à un art qu’il chérit et, plus particulièrement ici, aux individus qui le passionnent, à savoir les femmes fatales et vengeresses.
Lady Snowblood de Toshiya Fujita, 1h37, avec Akemi Negishi, Hosei Komatsu, Meiko Kaji – Sorti en 1973