[RETOUR SUR..] 120 battements par minute – Rester silencieux, c’est rester mort

Situé dans la France des années 1990, le film 120 battements par minute de Robin Campillo nous transporte au cœur d’une histoire intense. Nathan, l’un des nombreux bénévoles engagés dans les actions hebdomadaires d’Act-Up Paris, partage son parcours sexuel tumultueux avec un autre membre avant de dévoiler une expérience tragique qui a profondément bouleversé sa vision du monde. Tel un triste écho, Nathan se souvient : “Dans les magazines, jamais je ne voyais de couples gays. À moins que ce ne soit pour prédire notre mort imminente, à tous”. Des drames émotionnels captivants tels que Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée ou Philadelphia de Jonathan Demme ont brillamment exploré les sombres ravages de la crise du SIDA, rappelant avec force que le silence face au VIH équivaut à une condamnation à mort. Pourtant, ce qui rend ces films si percutants, ce n’est pas seulement la nature des sujets qu’ils abordent, mais également leur détermination à lutter contre l’injustice dans une société aveuglée.

Acclamé par des réalisateurs de renom tels que Barry Jenkins et Pedro Almodóvar, 120 battements par minute a été couronné du Grand Prix au Festival de Cannes 2017, une distinction qui reconnaît la puissance et l’impact saisissants de cette œuvre. S’inspirant de son expérience personnelle, Campillo place au centre de son récit Act-Up Paris, un collectif militant né de la peur, de la frustration et de la résignation face à la gestion défaillante de l’épidémie de SIDA par le gouvernement français. Mais plus qu’une simple critique politique, ce film s’attache à dépeindre une épidémie non seulement sanitaire, mais également sociale, en focalisant progressivement son attention sur deux protagonistes, Nathan et Sean. Ces deux hommes sont personnellement touchés par la maladie, mais font preuve d’une détermination inébranlable pour s’exprimer et se battre en faveur du changement. Ainsi, l’objectif de Campillo ne se limite pas à faire ressurgir un mouvement politique trop souvent ignoré, mais à ramener sur le devant de la scène un passé fait de silence et de désespoir, pour rappeler que l’épidémie est toujours présente et continue de coûter de nombreuses vies chaque année. Empli d’une émotion brute, le film de Campillo donne voix aux injustices et au silence qui entourent le VIH et le SIDA, et fait de la lutte pour la justice non seulement un combat politique, mais également une quête intime pour la survie.

Comment le monde a-t-il réagi face à cette épidémie dévastatrice ? Le gouvernement français est resté muet, sans fournir les ressources nécessaires pour sensibiliser le public à la gravité du problème ou pour offrir une protection accessible à ceux qui souhaiteraient s’engager dans des relations sexuelles, voire simplement acquérir une connaissance approfondie de l’épidémie. De la même manière, l’entreprise pharmaceutique Melton Pharm est demeurée dans le silence, prenant son temps pour divulguer les résultats des essais de médicaments révolutionnaires alors que de nombreuses vies étaient inexorablement emportées et réclamaient un traitement immédiat. À travers son film, le réalisateur explore ces injustices qui ont ravagé la communauté LGBTQ+, les prostituées et les toxicomanes. Le film met en lumière la naissance d’Act-Up Paris, un catalyseur du changement et une voix pour les sans-voix.

Dès le début, le spectateur pénètre dans une réunion d’introduction d’Act-Up, où les participants échangent sur les règles, les campagnes et les manifestations à venir. Le réalisateur illustre ainsi à plusieurs reprises le pouvoir de ces manifestations, tel ce siège spectaculaire mené par Act-Up à Melton Pharm, où des ballons remplis de faux sang furent lancés pour exiger des résultats tangibles face à une lenteur débilitante qui signait l’arrêt de mort pour nombre de personnes touchées par le virus. De la même manière, le collectif sensibilise les lycéens aux réalités du VIH et du SIDA, leur expliquant l’importance des mesures de protection et de dépistage régulier. Act-Up Paris s’emploie à dissiper les idées fausses et les préjugés répandus par un gouvernement défaillant. Si ces manifestations, fermement ancrées dans un propos politique, marquent les esprits, elles illustrent avant tout la détermination d’Act-Up à ne pas se laisser réduire au silence et à poursuivre inlassablement son combat. Pour bon nombre de ses membres, cette lutte pour la justice revêt un caractère bien plus personnel qu’idéologique.

Au-delà de sa portée politique, 120 battements par minute explore avec finesse la tragédie intime à travers le regard de Nathan et Sean, tous deux membres engagés dans l’organisation. Par le réalisme saisissant de leurs émotions et de leurs pensées, ce drame déchirant résonne chez le spectateur, invité à éprouver les tourments des proches qui souffrent et se trouvent confrontés à la perspective d’une fin imminente. Malgré les circonstances déchirantes qui entourent la relation de Nathan et Sean, Campillo dépeint d’autres aspects essentiels de leur vie, tels que leurs conversations, leurs danses et leurs étreintes intimes, qui ajoutent une dimension de beauté et d’intimité à leur lien. Ces moments sont d’une importance capitale, car ils incarnent l’essence même de leur relation, rappelant que c’est la vie qu’ils désirent ardemment, et la vie qu’ils méritent, malgré les obstacles qui se dressent devant eux. Si l’on pourrait croire le virus destiné à engloutir toute existence, 120 battements par minute ne se contente pas de nous plonger dans une douleur incommensurable. Il choisit également de mettre en lumière la beauté qui émane de leur relation. En dévoilant des scènes de sexe intimes et des danses enivrantes, le film nous rappelle que Nathan, Sean et la communauté LGBTQ+ ne peuvent être réduits ni au SIDA, ni à leur statut séropositif. Leur existence est bien plus riche et complexe, forgée par leurs attitudes et leurs choix de vie.

Au cœur de chaque manifestation s’anime un sentiment de révolte qui éveille les consciences face aux abus et discriminations. Cependant, lorsque gouvernements et populations choisissent d’ignorer ces signaux d’alerte, le prix à payer en est la vie. À travers 120 battements par minute, Campillo réussit avec brio à équilibrer les enjeux politiques et sociaux de la crise du SIDA, en plaçant les protestations controversées mais efficaces d’Act-Up Paris au premier plan de son récit. Pour renforcer ses arguments, le réalisateur déploie un éventail de métaphores visuelles et narratives, offrant au spectateur une romance à la fois tendre et tragique qui fracasse les cœurs et attise une colère brûlante. Cette tragédie persiste bien après la fin du film, laissant une menace perfide planer dans nos esprits : silence et mort se rejoignent inexorablement.

120 battements par minute de Robin Campillo, 2h23, avec Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel – Disponible sur FILMO

Critique écrite le 10 août 2021.

9/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    10/10 This Is Cinema
  • William Carlier
    8/10 Magnifique
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