Le cliffhanger est un procédé narratif largement utilisé dans la littérature, la bande dessinée, le cinéma et la télévision. Il consiste à créer une situation de suspense à la fin d’un récit, laissant le lecteur ou le spectateur en attente d’une résolution. À l’origine, le cliffhanger était fréquemment employé dans les serials cinématographiques du début du XXe siècle, où les épisodes étaient rythmés par des rebondissements destinés à maintenir l’intérêt du public. Bien que les serials aient progressivement disparu avec l’avènement de la télévision et des séries télévisées, le cinéma contemporain a adopté cette technique, en particulier dans les sagas cinématographiques. L’omniprésence du cliffhanger pose un problème majeur. La question se pose alors de savoir si ce procédé ruine un film.
DE LA SERIE… PAS AU CINEMA !
Le cliffhanger est un élément narratif plus commun et plus pertinent dans les séries télévisées que dans les films. Dans une série, il est essentiel d’accrocher le spectateur pendant plusieurs heures, voire plusieurs saisons, afin de maintenir son intérêt et de le fidéliser. Les cliffhangers sont utilisés pour conclure un arc narratif tout en en ouvrant un autre, afin de susciter l’attente et l’excitation chez les fans. Par exemple, le cliffhanger de la saison 6 de The Walking Dead, où un personnage emblématique fait son apparition, conclut un arc narratif majeur tout en préparant le terrain pour la prochaine saison.
En revanche, au cinéma, la dynamique est différente. Un long-métrage, qu’il fasse partie d’une franchise ou non, doit offrir une expérience cinématographique complète et satisfaisante dans un temps limité. Le spectateur s’engage pour une aventure spécifique, avec une introduction, un développement et une conclusion. Les films ne peuvent pas se permettre de conclure comme un épisode de série TV, car le niveau d’engagement du spectateur n’est pas le même. Les attentes vis-à-vis d’un film sont différentes de celles d’une série, et le spectateur attend une résolution plus immédiate et complète.
FRUSTRER LE SPECTATEUR
L’utilisation du cliffhanger au cinéma peut engendrer de la frustration chez le spectateur. Prenons l’exemple du film Alita: Battle Angel de Robert Rodriguez. Pendant la majeure partie du film, l’intrigue se développe de manière cohérente et passionnante, et il semble se diriger vers une conclusion satisfaisante. Cependant, environ quinze minutes avant la fin, le récit prend un tournant inattendu et ouvre un nouvel arc narratif, laissant de nombreuses questions sans réponse. Cette décision vise clairement à introduire un cliffhanger pour annoncer et promouvoir une suite potentielle.
Le problème ici est que le spectateur sort de la salle de cinéma avec une sensation d’incomplétude et de frustration. Le film ne parvient pas à conclure l’histoire qu’il a développée pendant la majeure partie de sa durée, ce qui crée une rupture narrative et laisse le spectateur sur sa faim. De plus, il n’est pas garanti que la suite du film sera réalisée, ce qui ajoute une incertitude quant à la résolution des intrigues et au sort des personnages.
Cela devient encore plus problématique lorsque l’on considère les franchises cinématographiques. Certains films s’étendent sur plus de deux heures sans offrir de conclusion satisfaisante, préférant se terminer par un cliffhanger qui prépare le terrain pour une suite ultérieure. Cela peut donner l’impression que le spectateur a payé pour voir une histoire inachevée, et cela peut être source de frustration et de déception.
DES FRANCHISES ET ENCORE DES FRANCHISES
L’abus des cliffhangers est lié à la tendance actuelle de l’industrie cinématographique à créer des franchises. Les studios cherchent à produire un nombre croissant de films mettant en scène des personnages populaires afin de satisfaire le public et de générer des recettes. Dans cette optique, les cliffhangers deviennent des outils narratifs permettant de maintenir l’intérêt du public et de lui donner un avant-goût de ce qu’il pourra voir dans les futurs épisodes.
Cependant, cette pratique n’est pas sans conséquences. Elle a tendance à se propager dans d’autres pays et à influencer les pratiques cinématographiques locales. Par exemple, le film français Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan de Martin Bourboulon conclut son premier arc narratif quelques minutes avant la fin, mais il se sent obligé de bâcler un cliffhanger peu convaincant pour annoncer une deuxième partie à venir. Cette démarche donne l’impression que l’histoire est tronquée et que le film est conçu principalement pour lancer une suite, plutôt que de fournir une expérience cinématographique complète.
Dans le cas des films Fast & Furious X et Spider-Man Across The Spider-Verse, les problèmes liés au cliffhanger deviennent particulièrement évidents. Ces films prolongent délibérément leurs récits pendant plus de deux heures, sans offrir de conclusion satisfaisante. Fast & Furious X se contente de bâcler son final avec un retournement de situation prévisible et des explosions spectaculaires, dans le but de maintenir l’intérêt des spectateurs déjà acquis à la franchise. Quant à Spider-Man Across The Spider-Verse, il consacre une vingtaine de minutes en fin de film à introduire une suite plus épique, donnant ainsi l’impression que les deux heures précédentes ne servaient que d’introduction à quelque chose de plus grand. Cette approche laisse les spectateurs avec un sentiment d’incomplétude et d’exploitation, où ils ont l’impression de payer pour une expérience fragmentée et inachevée.
Ces exemples soulignent les dangers d’une utilisation excessive du cliffhanger dans le cinéma contemporain. Bien qu’il puisse être utilisé pour susciter l’attente et l’excitation du public, il est essentiel de respecter l’expérience cinématographique dans son ensemble. Les spectateurs méritent des histoires complètes et gratifiantes, qui offrent une conclusion satisfaisante, indépendamment de la perspective d’une suite future.
Cependant, il convient de noter qu’il existe certaines nuances dans l’utilisation du cliffhanger au cinéma. Par exemple, les deux premiers films de la trilogie Retour vers le futur (une simple blague à la base, devenu un cliffhanger quand la suite qui n’était pas prévue est réellement sortie) et Matrix Reloaded, le deuxième volet de la trilogie Matrix, se terminent également par des cliffhangers. Contrairement aux exemples précédemment mentionnés, ces cliffhangers concluent un arc narratif avant de dévoiler le sujet du prochain film et/ou de laisser entendre que nos héros reviendront. Ils ne se contentent pas de briser une action et de mettre un carton « à suivre…« . Dans ces cas, le cliffhanger peut être perçu comme une anticipation excitante de la suite de l’histoire, plutôt que comme une frustration pure et simple.
En conclusion, le recours abusif au cliffhanger au cinéma peut ruiner l’expérience des spectateurs en créant de la frustration et en donnant l’impression d’œuvres incomplètes. Le cinéma est un médium différent de la télévision et nécessite une approche narrative adaptée. Les réalisateurs et scénaristes doivent trouver un équilibre entre la création d’une intrigue captivante et la satisfaction des attentes du public. Les spectateurs méritent de ne pas être laissés en suspens et de ne pas payer pour des histoires tronquées. Il est temps de repenser l’utilisation du cliffhanger au cinéma afin de préserver l’intégrité des œuvres et de garantir une expérience cinématographique complète et gratifiante pour tous.