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[INTERVIEW] Saeed Roustaee – “L’histoire de mes personnages est extrêmement tragique”

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Par Vincent Pelisse

A l’occasion de la sortie de Leila et ses frères, son nouveau film présenté au Festival de Cannes après le succès en 2021 de La Loi de Téhéran, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec Saeed Roustaee, lors d’une table ronde avec deux consœurs.

 LOIC VENANCE/AFP

Florence Oussaidi : J’aimerais savoir pourquoi le film s’appelle “Leila et ses Frères”, et pas plutôt “Leila et son Père” ?

Saeed Roustaee :  “Alors déjà, il faut savoir que le film s’intitule “Les Frères de Leila” en Persan. Le père est surtout un obstacle, c’est de ses frères dont Leila se soucie en particulier. Mais je considère que le personnage principal c’est la famille, le noyau familial, et le sujet c’est de trouver un emploi.”

Vincent Pelisse : Selon moi, la séquence la plus marquante du film est celle du mariage, qui débute comme une célébration, et qui s’achève presque comme une exécution publique. Pouvez-vous nous parler de l’élaboration de cette scène ?

S.R. :  “C’est drôle, un ami m’a dit après avoir vu la scène, que ça l’avait énervé et que si les frères étaient venus au mariage et avaient tué ceux avec qui ils sont en conflit, ça aurait fait du bien à tout le monde, le spectateur se serait senti bien, et le film aurait pu se terminer là. Je lui ai répondu que oui le spectateur allait se sentir bien mais qu’il n’y aurait plus de logique dans mon récit. Là cette séquence intervient ni au début ni à la fin du film, c’est la continuité qui veut ça. Il y a une expression en Iran qui dit que si on veut faire tomber quelqu’un, autant que ce soit de très haut pour que ses os se brisent avec grand fracas. L’idée c’était vraiment de voir la descente aux enfers de ce personnage soudainement, et c’est vrai que tout est faux dans ce mariage : ce titre est faux, ce ne sont que des apparences, et il fallait montrer le vide que cachait cette cérémonie.”

F.O. : Leila et ses frères et La Loi de Téhéran ont un aspect très Shakespearien, quel est votre rapport avec le théâtre de Shakespeare ?

S.R. : “Je regarde beaucoup de pièces de théâtre depuis toujours, et j’ai beaucoup lu Shakespeare, mais ce qui vous fait penser à lui ici c’est la tragédie. L’histoire de mes personnages est extrêmement tragique. Ce film fait écho à la vie des gens en Iran, on le voit avec l’inflation, le cours qui fluctue pendant qu’on traverse la rue… La tragédie c’est que la classe moyenne est en train de disparaître, les pauvres s’appauvrissent, et un très faible pourcentage de la population devient très riche.”

V.P : Pour aller plus loin dans la tragédie Shakespearienne, il m’a semblé reconnaître dans la fratrie un parallèle avec les frères et sœurs du Parrain de Coppola. Est-ce quelque chose auquel vous avez pensé pendant l’écriture ?

S.R. : “J’adore Le Parrain, c’est un de mes films préférés, mais je n’y avais pas pensé par rapport à la fratrie. Par contre j’ai une séquence qui fait directement référence à la fin du premier Parrain. C’est la scène du changement d’habits du noir vers le blanc, et j’ai vraiment essayé dans le découpage, dans la mise en scène, de faire une référence claire pour rendre hommage au chef-d’oeuvre de Coppola.”

Mitra Etemad : Où avez-vous tourné le film ? Notamment l’appartement de la famille, était-ce en studio ?

S.R. : “C’était deux petites maisons en fait qu’on avait trouvé dans un quartier pauvre au sud de Téhéran, et on a essayé de mixer les deux ensemble pour faire une seule maison, un seul lieu de tournage de 90m². Donc en fait la manière dont on a travaillé le décor, avec toutes les lumières etc, ça peut ressembler à un studio, mais c’est bien un lieu réel. On a fait pas mal de changements, on a même acheté des colonnes pour aménager comme on le voulait. Maintenant depuis la fin du tournage, les propriétaires ont détruit le lieu pour construire un immeuble de 7 étages.“

F.O. : J’ai été très frappée par l’intensité et la pugnacité des personnages de Leila et trafiquant dans La Loi de Téhéran, ces personnages ont pour moi un point commun dans leur manière de lutter contre un sort qui leur est contraire. Considérez-vous le cinéma comme un combat, à la manière de ces personnages ?

S.R. :  “Le cinéma pour moi c’est la vie, et la vie c’est une lutte aussi finalement. Je ne connais personne qui se satisfait complètement de ce qu’il a. Chacun veut que les choses s’améliorent.”

M.E. : Dans La Loi de Téhéran, les deux acteurs principaux incarnaient un policier et un trafiquant de drogue. Dans ce film, ils sont frères, ce qui donne une dynamique totalement différente dans leurs dialogues, tout en gardant une certaine intensité. Est-ce quelque chose que vous vouliez travailler avec eux après votre précédent film ?

S.R. : “Au moment de l’écriture, c’est là que je pense aux acteurs. Ce n’est pas parce qu’ils ont joué dans mon autre film que je vais les reprendre, même si on est très potes avec Navid et Payman. Néanmoins, les acteurs s’imposent vraiment à moi pendant l’écriture dans mon inconscient. D’un coup je vais voir tel ou tel acteur en train de dire le dialogue que je suis en train d’écrire.” 

V.P. : Dans quelques scènes, on voit la famille regarder la télévision, notamment des chaînes d’infos où l’on voit Donald Trump, et on les voit aussi beaucoup regarder de matchs de Catch. Pouvez-vous nous parler de l’influence de la culture américaine en Iran ?

S.R. :  “En ce qui concerne la culture américaine, je ne connais pas un endroit au monde où elle n’a aucune influence. De l’autre côté avec le Catch, ce qui est important c’est qu’on voit l’opposition entre le vrai et le faux, est-ce que ce qu’ils regardent se passe vraiment, est-ce une mise en scène ? C’est un leitmotiv qu’on va retrouver tout au long du film, est-ce que ce père va vraiment mettre tout son argent pour acheter des cadeaux pour ce mariage-là ? De même, est-ce que cette cérémonie ne cache pas une mise en scène ? Donc le fait qu’ils regardent du Catch symbolise un peu tout ça.”

Propos recueillis lors d’une table ronde par Vincent Pelisse (C’est quoi le Cinéma ?), Florence Oussaidi (Cinépassions), et Mitra Etemad (Trendys Mag).

Remerciements à l’équipe de Mensch Agency, et Wild Bunch pour cette interview.

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