Brève | Hiver à Sokcho de Koya Kamura | 1h45min | Par Louan Nivesse
Il y a des villes qui semblent retenir leur souffle. Sokcho en hiver est de celles-là. L’air y est dense et immobile. La mer s’arrête au rivage sans bruit, comme si elle redoutait d’aller plus loin. Les montagnes s’élèvent en arrière-plan, noires et impassibles, traçant des ombres qui s’étendent jusqu’à la nuit. Le vent glacial porte des murmures, des restes d’histoires effacées par le temps. Chaque pas dans la neige résonne dans ce silence compact. Sokcho est un lieu où l’attente devient une habitude. Les enseignes clignotent faiblement et les rares passants avancent la tête baissée sans croiser les regards.
Soo-ha (Bella Kim) se fond dans ce paysage. Son visage pâle, figé dans une expression de calme résigné, apparaît derrière la vitre embuée de la pension où elle travaille. Le film s’ouvre sur un plan large de la mer qui glisse lentement vers cette fenêtre. Soo-ha est immobile, un bol de soupe entre les mains. Le cadrage est serré mais laisse voir les rideaux à demi tirés et une lampe vacillante à l’arrière-plan. Chaque geste est mécanique. Elle prépare des repas, lave les draps, remplit les registres. Une vie en boucle marquée par l’usure invisible du quotidien. Pourtant, dans chaque plan, Kamura glisse un détail. Un regard s’attarde trop longtemps sur la mer. Une main frôle la vitre sans raison apparente. Puis Kerrand (Roschdy Zem) entre en scène. La caméra l’accompagne de dos lorsqu’il franchit la porte de la pension. L’éclairage se tamise. Il retire son manteau, révélant son visage marqué par des cernes profonds et une barbe naissante. Il s’assied, commande à peine et observe. Chaque plan fixe s’attarde sur lui plus longtemps que nécessaire. Kerrand est un homme qui semble peser chaque seconde. Lorsqu’il demande de l’encre et du papier, Soo-ha l’observe discrètement depuis le comptoir. Un gros plan suit ses doigts qui tapotent la table, comme pour combler le silence.

Le réalisateur joue avec la distance. Plus tard, Soo-ha regarde Kerrand dessiner dans la salle commune. La caméra reste en retrait, encadrant Soo-ha derrière un volet entrouvert. L’animation surgit sans prévenir. Une esquisse prend vie sous la main de Kerrand. Des poissons nagent à contre-courant et se dissolvent en éclats d’encre. Ces séquences animées minimalistes traduisent les fragments de l’esprit de Soo-ha. Cette envie diffuse de partir, de se transformer. Chaque image est une métaphore. Un oiseau sans ailes. Un corps qui s’efface au contact de l’eau. L’hiver dans Sokcho devient un personnage à part entière. La lumière froide envahit chaque recoin, reflétant la distance entre les personnages. Les rues désertes, filmées en longues focales, s’étirent à l’infini. Kerrand et Soo-ha semblent enfermés dans un espace où rien ne bouge. Lorsqu’ils traversent le marché, les étals sont vides et le souffle visible de leur respiration rythme la scène.
Alors que le monde reprend son rythme, Sokcho reste en marge, prisonnière d’un hiver qui s’éternise. La ville semble s’accrocher à une immobilité qui évoque ces jours où tout s’était arrêté. Kamura filme cette torpeur avec des plans prolongés, où chaque coin de rue désert reflète une attente silencieuse. Sokcho devient le miroir des endroits et des esprits marqués par la pandémie, où la routine a repris mais où l’écho du vide persiste. Les personnages avancent lentement, comme retenus par une force invisible, incertains de retrouver leur élan. Lorsque Kerrand quitte la pension, un plan fixe s’attarde sur Soo-ha, debout dans l’entrée. Elle ne bouge pas. Les bras croisés, son regard se perd au-delà du seuil. Il n’y a ni larmes ni gestes dramatiques. Juste cette immobilité qui contient pourtant tout le poids du changement. Kerrand disparaît au loin et la caméra s’attarde sur la mer, toujours là. L’hiver s’étire mais dans ce silence, il y a comme une promesse. Parfois, il faut rester immobile pour sentir enfin le souffle du printemps.
| Au cinéma le 8 janvier 2025