Dans ces chroniques littéraires, on vous recommande généralement des livres directement liés au cinéma, qu’ils s’agissent d’analyses, de biographies ou de romans ultérieurement adaptés. Cependant, le choix d’aujourd’hui, Vis-à-vis de Peter Swanson, se distingue en ce sens qu’il n’est pas encore adapté (du moins, pas encore) et n’aborde pas directement le monde du cinéma. Vous pourriez vous demander : pourquoi donc le trouver dans cette section du site ? La raison est simple : c’est une œuvre de fiction qui capture parfaitement les codes du “thriller hitchcockien”. Dans ce polar, une illustratrice, habitant principalement chez elle, remarque lors d’un dîner un trophée sportif étrange chez son voisin. Ce trophée est directement lié à une affaire de meurtre qui avait obsédé notre protagoniste quelques années plus tôt. Elle en déduit alors que son nouveau voisin pourrait bien être l’assassin. À partir de cette prémisse, Peter Swanson construit un thriller haletant et résolument hitchcockien.
Commençons par définir ce qu’est un “thriller hitchcockien”. La réponse, bien que simple, est aussi évidente : il s’agit d’une œuvre qui adopte les codes ou les éléments caractéristiques des films d’Alfred Hitchcock. Plusieurs thèmes de Vis-à-vis évoquent la filmographie du cinéaste. Prenons le voyeurisme, par exemple. Que ce soit Norman Bates observant ses futures victimes dans Psychose ou Jeff scrutant ses voisins dans Fenêtre sur Cour, le voyeurisme occupe une place centrale chez Hitchcock. Ici, cet élément se retrouve dans la narration, avec le tueur suivant méticuleusement ses victimes avant de les éliminer et la voisine observant ses actions répréhensibles. Par ailleurs, l’inspiration va encore plus loin, elle transparaît jusque dans la structure même du livre. En effet, les différents chapitres alternent entre les points de vue des deux protagonistes, exposant ainsi leurs pensées. Cela plonge le lecteur dans une position de voyeur, ce qui génère une impatience à connaître la suite et crée une forme d’ironie dramatique. Cette approche narrative dévoile au spectateur des informations que les personnages ignorent, instaurant une tension constante et un attachement émotionnel. Cette technique se révèle d’ailleurs être une constante dans la filmographie d’Alfred Hitchcock.
L’influence du maître du suspense transparaît à de multiples niveaux dans Vis-à-vis, particulièrement dans son traitement des maladies mentales. Les deux protagonistes souffrent de troubles psychologiques qui pourraient altérer leur perception de la réalité. En semant le doute chez le lecteur, Peter Swanson crée des scènes aux enjeux multiples, ébranlant la crédibilité de ce que le roman semble nous raconter. Cette notion fascinante rappelle indéniablement Psychose et Vertigo. Ces hommages constants à Hitchcock font de cette lecture un polar parfait pour les amateurs de suspense, offrant à la fois une synthèse du style hitchcockien tout en se démarquant sur certains aspects. Notamment sur le rôle des objets, élément fondamental dans la filmographie d’Hitchcock, qui ici ne servent qu’à initier l’intrigue avant d’être complètement abandonnés deux chapitres plus loin. Vis-à-vis s’impose davantage comme un hommage que comme une simple reproduction, évitant ainsi le piège de la prévisibilité.
À l’instar de tout bon thriller hitchcockien, le livre élabore une variété de personnages et de péripéties tout au long de l’intrigue, en vue de les réunir lors d’un dénouement majeur. Peter Swanson suit cette même formule, en développant un total de six personnages, qui, dans les derniers chapitres, se retrouvent confrontés dans des configurations inattendues. Le livre semble initialement se diriger vers une conclusion anticipée et fataliste, avant de surprendre les lecteurs en introduisant à la dernière minute des éléments qui redéfinissent notre perception de toute l’histoire. Vous reconnaissez certainement cette technique narrative, il s’agit bien évidemment des fameux rebondissements si caractéristiques de la filmographie d’Alfred Hitchcock.
Vis-à-vis de Peter Swandon, roman, 352p. 23,60€ – Publié aux éditions Gallmeister
Par Enzo Durand.