Un tueur en série est pris au piège par la police dans une salle de concert où se retrouvent 20 000 personnes ; il n’y a pas d’issue possible. Ce pitch était prometteur, surtout quand on connaît le talent de M. Night Shyamalan pour développer des concepts simples en leur offrant une ampleur philosophique et sociale. La paternité est un sujet longuement exploré à travers sa filmographie, passant du fils sans père (Sixième Sens) aux devoirs de celui endeuillé par le décès de sa femme (Signes). Le criminel de Trap fait face à une problématique similaire : comment s’en sortir sans dévoiler sa double vie, sans perdre sa famille, sans traumatiser sa fille par la découverte ? Si le cinéaste a toujours eu cette faculté à mélanger des registres avec une exécution plutôt inattendue, flirtant souvent avec la comédie, l’écriture de cette production déçoit nettement.
Des manœuvres dans le vide. C’est ainsi que l’on peut qualifier les efforts concrets des forces de l’ordre dont l’objectif est d’attraper ce serial killer. Par la force des allers-retours permanents, sa manière de convaincre n’importe qui – vendeur de merchandising, policiers – Cooper Adams, dit le Boucher, se déplace comme il le veut et quand il le veut. Il n’y a pas de suspension d’incrédulité, toutes les perches lui sont tendues. Si Shyamalan souhaitait exposer la déconnexion de la réalité de tous, y compris de l’institution policière, c’est chose faite. Mais quel intérêt cinématographique ? Pourquoi refuser à ce point tout suspense, tout effet de mouvement dans la mise en scène ? Certes, on le retrouve habité quand il s’agit de matérialiser la difficulté générationnelle à se déconnecter des écrans et du regard des autres. Pourtant, rien de cela n’est retranscrit par des jeux de caméra ou une multiplicité de points de vue.
Le potentiel hitchcockien d’un tel synopsis était immense, mais il faudra se contenter de contre-plongées anecdotiques et rien d’autre. Formellement, les images manquent de relief et mettent très peu en valeur un élément du décor, à l’exception de la scène de concert où Lady Raven chante ses tubes. Alors que l’identité du Boucher est sur le point d’être dévoilée, l’utilisation du hors-champ en parcours, où seuls les cris et les coups portés à la porte résonnent, apporte un sursaut d’énergie assez inattendu. Sur la durée, on se demande s’il s’agit du même homme à la direction de Knock at the Cabin, qui prenait le temps de caractériser chaque individualité présente sur les lieux. En l’état, l’ensemble inspire une platitude esthétique sauvée de justesse par des jeux de lumière efficaces.
Josh Hartnett convainc aisément dans son rôle de psychopathe. Ses regards caméra sont troublants, bien qu’il frôle le surjeu en utilisant des intonations très fortes. Saleka Shyamalan apporte un contraste intéressant en incarnant une jeune femme sensible et sûre d’elle grâce à son vécu. Elle est l’enfant qui s’est élevée seule, prenant la mesure de ses souvenirs douloureux, et son interprétation inspire l’émotion et la détermination. Il n’en va pas de même pour les dialogues, très convenus et attendus pour ce type d’intrigue. La déception est palpable après la première heure, lorsque l’action quitte le lieu initial. Des touches d’humour noir étaient glissées auparavant, entre deux ou trois invraisemblances où il y avait plus de circulation dans les couloirs de l’aréna que dans la salle de concert. Désormais, la traque se poursuit à l’extérieur, et il devient plus ardu de rester impliqué par des événements pris au sérieux au fil de rebondissements intempestifs.
Le récit fait fi de toute incohérence, multipliant les téléportations du tueur pour que l’intrigue se poursuive. Certes, ce n’est pas une surprise au regard du peu d’importance accordée à l’inscription de points de repère dans l’espace lors du premier acte. Dès le début, il n’y avait pas de logique aux sorties, déplacements et positions du protagoniste. À ce stade, le thriller ne peut plus susciter de frissons, remplacés par un ennui poli. La trame scénaristique se conclut sur un cliffhanger poussif, même pas amusant puisqu’il ne signifie rien. Il n’a aucune résonance avec le dilemme psychologique du père qui, en s’assumant, ne pourra plus revoir sa fille. Hélas, un piège sans piège.
Trap de M. Night Shyamalan, 1h45, avec Josh Hartnett, Saleka Shyamalan, Ariel Donoghue – Au cinéma le 7 août 2024
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JACK6/10 SatisfaisantLe twist de Trap - car le film en compte bien un - concerne son emploi des registres : M. Night Shyamalan donne moins dans le thriller anxiogène que dans la comédie noire, multipliant les grossièretés scénaristiques pour amuser la galerie. Et Josh Hartnett s'amuse comme un fou.