Lorsqu’on scrute les diverses œuvres cinématographiques consacrées aux protagonistes de l’Univers Cinématographique Marvel, les films mettant en vedette Thor se distinguent par leur hétérogénéité. Le Thor réalisé par Kenneth Branagh en 2011 constituait un subtil mélange d’action super-héroïque et d’esprit badin. En revanche, l’opus intitulé Thor : Le Monde des Ténèbres (2013), œuvre d’Alan Taylor, s’enfonce dans les abîmes de la saga. Quant à Thor : Ragnarok, façonné par l’artiste Taika Waititi en 2017, il s’agit d’une comédie singulière, certes, mais d’une modestie relative dans l’étendue du MCU, affichant un ton insolite et des personnages souvent en rupture avec leurs incarnations précédentes au sein de cet univers. Néanmoins, le grand public a chéri Ragnarok, au point qu’il a généré plus de 850 millions de dollars. Ce triomphe, conjugué à l’affection de l’acteur principal Chris Hemsworth pour son personnage, a rendu l’avènement d’un quatrième volet inévitable. Ainsi naquit Thor : Love & Thunder, une production qui emboîte largement le pas à son prédécesseur. Ce phénomène s’explique en grande partie par le retour de Waititi, qui cette fois-ci, non content de réaliser le film, en assure également la rédaction du scénario en collaboration avec Jennifer Kaytin Robinson.
Thor : Love & Thunder explore diverses pistes, mais le résultat est en quelque sorte décevant. Naturellement, l’inclination de Waititi pour l’humour est indéniable et suscite certains des mêmes griefs que ceux que j’avais formulés à l’égard de Ragnarok. Le hic réside dans le fait que Waititi semble dépourvu de tout frein, s’efforçant tellement de faire de ce film une comédie qu’il en devient presque une parodie d’une œuvre Marvel, plutôt qu’une avancée significative au sein du MCU. Tout comme son prédécesseur, il transforme une fois de plus son personnage principal en une caricature plutôt qu’en une figure à prendre au sérieux. Les néophytes de passage, peu familiers avec les bandes dessinées (ou avec une continuité cohérente de l’univers global), pourraient vraisemblablement apprécier Thor : Love & Thunder. Cependant, cette approche aboutit à des situations où la comédie semble artificiellement forcée, étouffant par là même certaines des scènes les plus poignantes. Le comble est que Waititi consacre tant d’énergie à distiller des plaisanteries qu’il néglige les autres protagonistes et leurs récits. De nombreuses lacunes auraient pu être aisément comblées si Waititi avait simplement ralenti le rythme et accordé plus d’attention à l’intrigue globale, au lieu de chercher à arracher un sourire à chaque réplique.
Entre les épisodes des chèvres hurlantes et les fragments superficiels de Guns N’ Roses, se niche le récit tragique (et atrocement négligé) de Gorr (magistralement interprété par Christian Bale mais gâché par l’ensemble). Le film s’ouvre sur la perte de sa jeune fille, sur laquelle il veille en vain. Après que ses supplications pour sauver sa progéniture soient restées lettre morte, un Gorr désolé implore son dieu en quête de réponses, n’obtenant en retour que dérision. C’est alors qu’il est (de manière quelque peu obscure) choisi par une arme nommée la Necrosword, conférant à son détenteur le pouvoir d’abattre les dieux (ne vous attendez pas à une explication détaillée sur la Necrosword ; elle est l’une des nombreuses élucubrations que le film évoque sans s’encombrer de détails). Dès lors, Gorr entreprend l’une de ses nombreuses escapades prolongées. L’intrigue se recentre sur Thor, toujours en cavale dans l’espace aux côtés des Gardiens de la Galaxie. Après une séquence d’action absurde (et visuellement bancale) sur une planète assiégée, les Gardiens sont rapidement écartés (plus par commodité que par nécessité véritable), laissant Thor, l’ignare, répondre à un appel de détresse de Sif (Jaimie Alexander). Celle-ci le met en garde contre Gorr et son dessein d’éradiquer tous les dieux. La première cible de Gorr : New Asgard.
Pour mémoire, New Asgard est un village norvégien sous l’égide de Valkyrie (Tessa Thompson). En qualité de dirigeante, Valkyrie a transformé New Asgard en une destination touristique prisée, où les visiteurs peuvent s’adonner à des attractions et à des reconstitutions ringardes des exploits de Thor à bord de navires de croisière. Ils peuvent même contempler les fragments du puissant marteau de Thor, Mjollnir, exposés en toute ostentation dans une vitrine. C’est également à ce moment que nous sommes présentés à nouveau à l’ex-petite amie de Thor, Jane Foster (une Natalie Portman retrouvée). Jane, qui n’a pas joué un rôle prépondérant au sein du MCU depuis Le Monde des Ténèbres, est ramenée pour incarner un rôle central. Toutefois, en raison de son absence prolongée, Waititi se voit contraint de nous rafraîchir la mémoire. Nous découvrons que Jane est atteinte d’un cancer de stade 4 et que ses jours sont comptés. Pour des motifs à peine évoqués, Jane ressent l’appel de Mjollnir vers New Asgard (ceci étant vaguement lié à un enchantement accidentel survenu des années auparavant. Encore une fois, il s’agit là d’une explication avancée par pure convenance plutôt que par nécessité narrative). Lorsque Jane arrive sur place, Mjollnir se reconstitue magiquement et elle se métamorphose en Mighty Thor. Ainsi va le récit.
Après l’attaque de New Asgard par Gorr et l’enlèvement des enfants du village, Thor et Jane se retrouvent. Accompagnés de Valkyrie, en qualité de troisième larron, le trio se lance à la poursuite du “Boucher des Dieux”, avec pour objectif de ramener les jeunes Asgardiens chez eux. Toutefois, accomplir cette mission impliquera de rendre visite à Zeus (Russell Crowe) pour le prévenir, lui ainsi que les autres divinités, et de lever une armée. Les péripéties s’enchaînent, les effets spéciaux s’intensifient, détournant davantage l’attention des éléments véritablement captivants de l’intrigue et alimentant notre frustration envers les facéties de Waititi. Le récit de Jane est ainsi précipité, et il y a peu d’alchimie entre elle et Thor. Valkyrie, personnage qui aurait grandement bénéficié d’un arc narratif plus substantiel, est trop souvent reléguée au second plan. Korg (incarné par Waititi) est présent uniquement pour apporter une touche d’humour (comme si le film avait besoin d’une telle bouffée d’air). Quant à Gorr, il reste en retrait tandis que Waititi pousse le trait de sa dérision à l’extrême. C’est remarquable pour un film dont les éléments clés sont le deuil d’un père et le cancer de stade quatre. Mais Thor : Love & Thunder se soucie peu de ces enjeux sérieux. Peu importe si le ton est désastreusement incohérent, pourvu qu’une plaisanterie émaille presque chaque scène. Telle semble être la ligne de conduite adoptée pour ce dernier volet décevant du MCU.
Thor : Love & Thunder ne brille jamais autant que dans ses instants sérieux, mais Taika Waititi s’en moque et préfère se vautrer dans les pires travers de Robert Rodriguez.
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