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[CRITIQUE] The Substance – Méduse de notre perversité

La première chose qui nous frappe après la découverte de The Substance est la richesse des références et des hommages qui jalonnent le récit. Ce n’est guère surprenant. Sept ans auparavant, la réalisatrice Coralie Fargeat avait déjà fait sensation dans les festivals de genre avec Revenge, un petit choc visuel et gore qui a gagné en popularité au fil des années grâce à sa caméra pulp, apportant une bouffée d’air frais et unique. Les gros plans, le rythme effréné et surtout son inventivité à proposer un gore à la fois répugnant et “fun” à contempler ont marqué les esprits. On pense notamment à cette longue scène de course-poursuite dans les couloirs de la villa, où le sens du découpage et la nervosité de la réalisation donnaient l’impression d’un couloir infini, plongeant le spectateur dans une confusion spatiale similaire à celle des protagonistes. En 2018, Coralie Fargeat semblait émerger comme une grande cinéaste, capable de renouveler le genre avec audace et créativité et en s’inspirant des meilleurs. Dans ce premier film, les mouvements de caméra à la Sam Raimi se mêlaient aux explosions sanglantes dignes de Peter Jackson, dans un désert de sueur aussi orange que ceux de George Miller. Le résultat était un “rape and revenge” inédit, doté d’une identité unique que l’on espérait retrouver.

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Que diable, ces retours font rêver ! Celui de Coralie Fargeat, dont le pitch prometteur a suscité tant d’attentes, et celui de Demi Moore (qui incarne ici Elizabeth Sparkle) que nous étions impatients de revoir sur grand écran. Dans The Substance, Moore joue une actrice et animatrice TV de fitness en déclin, selon les patrons masculins des chaînes et d’Hollywood, en raison de son âge. Malgré ce jugement, elle demeure resplendissante. Traumatisée par son corps et cette nouvelle vie sans popularité, elle découvre une mystérieuse substance capable de diviser son ADN en deux, permettant à une version meilleure et plus belle d’elle-même de prendre sa place une semaine sur deux. Cette version, Sue, est incarnée par Margaret Qualley.

L’intrigue rappelle à la fois le fond anti-jeunisme de Beauty Water de Kyung-hun Cho et le concept amusant (bien que sexiste) de Dr. Jekyll et Ms. Hyde de David Price. Il ne s’agit pas de déterminer si la cinéaste s’est inspirée de ces œuvres, car son film regorge de références et d’hommages variés, allant de Shining à Lost Highway, tout en citant Cronenberg et Carpenter. Il est presque impossible de saisir toutes ces allusions en un seul visionnage. Cependant, ces citations et inspirations ne sont pas utilisées en vain. Elles enrichissent le récit et l’évolution des personnages. Par exemple, lorsqu’elle cite Shining dans ce long couloir où les grandes affiches de magazines mettant en vedette Elizabeth sont remplacées par celles de son alter-ego Sue, c’est pour capturer l’essence de la chambre 237 et l’horreur corporelle de la vieille femme qui l’habite. Ce n’est pas seulement un clin d’œil, mais un “foreshadowing” que la réalisatrice amplifie, portant l’idée à son paroxysme.

C’est ce que Coralie Fargeat réalise tout au long de ces deux heures et vingt minutes : un jusqu’au boutisme pour rendre ses idées plus jouissives qu’on ne pourrait l’imaginer. Les scénarios conceptuels, où les règles imposées aux personnages sont transgressées pour notre plus grand plaisir voyeur, risquent souvent de s’essouffler, surtout lorsqu’ils s’étirent autant. On pourrait craindre cela, d’autant plus qu’il n’y a que trois règles : une semaine sans exception avant de permuter de corps, ne former qu’une seule et même personne, et surtout, n’activer qu’une seule fois la substance. C’est dans ces transgressions que le film trouve une liberté inédite. Fargeat abandonne rapidement une esthétique sexy, où elle filme les fesses de Qualley en gros plan, comme le regard salivant des hommes, pour plonger dans un body-horror de décomposition, d’extraction et de putréfaction. Elle ne se contente pas de montrer la déliquescence progressive, comme le pourrissement d’un doigt suivi du petit orteil, puis du genou, et enfin du nez. Non, elle fait comprendre au spectateur qu’au moindre dépassement de la semaine par Sue, Elizabeth commencera à pourrir immédiatement, montrant sans transition les conséquences dramatiques quand Sue profite de trois mois au lieu d’une seule semaine. Le spectacle commence véritablement. Vous en dire plus serait superflu – surtout quand l’on comprend à ce moment qu’on est qu’à peine à la moitié du récit.

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Parce que oui, là où la première partie adopte un aspect clip pulp et sexy, filmée par un Nicolas Winding Refn chez MTV, les corps féminins sont capturés par Fargeat selon des perspectives variées. Parfois, ils sont filmés tel que la cinéaste les perçoit (comme Demi Moore dans les premiers plans de gymnastique ou nue devant son miroir), et d’autres fois, tel que les hommes puissants, pervers ou simplement masculins les regardent (comme les zooms sur les fesses de Qualley ou sur son corps pendant ses émissions). Cette dualité crée une ambiguïté dans le message, pouvant laisser certains spectateurs perplexes et accuser le film d’être un pamphlet de male gaze assez crasse, ce qui est compréhensible, mais infondé. Les hommes dépeints dans le film sont tous abominables : des goujats, des libidineux, des individus qui se permettent de juger les candidates, de dicter aux femmes ce qu’elles doivent faire. C’est un monde sordide qui, malheureusement, persiste encore aujourd’hui, comme en témoignent les réactions de certains milieux face au retour du mouvement #MeToo en France. Fargeat utilise cette dichotomie pour exposer et critiquer cette réalité, et non pour l’approuver.

L’ambiguïté de ce point de vue est également essentielle à d’autres fins. Elle permet d’abord de créer de la comédie en filmant le “MonstroElisaSue”, ce monstre que notre protagoniste devient, avec la même esthétique sexy et la même sensibilité que les scènes initiales. Fargeat réutilise les mêmes cadrages, la même densité et la même sensibilité pour filmer cette créature affirmée, contrairement à la sublime Demi Moore du début qui ne s’aime plus. Il y a une ironie certaine ici : notre personnage commence à s’aimer lorsqu’elle devient ce qu’elle déteste le plus, la laideur. Cette fierté d’être entière dans un corps difforme est à la fois jubilatoire et profondément poétique. Fargeat utilise également cette ambiguïté pour créer un proto-gore des plus sexys, même lorsqu’il devient dégoûtant à regarder. En tant que spectateurs, nous devenons des voyeurs, des pervers, nous languissant de la sensualité de ces corps tout en attendant avec impatience le chaos sanglant et dégoûtant qui suit. C’est une décadence jouissive qui nous laisse médusés. Cette dualité entre le désir et la répulsion est exploitée avec maestria par Fargeat, offrant une critique mordante de notre propre voyeurisme tout en nous entraînant dans un tourbillon de sensations contradictoires.

The Substance de Coralie Fargeat, 2h20, avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid – Prochainement au cinéma.

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