À plus de soixante-dix ans, Pedro Almodóvar, précédemment pressenti pour réaliser Brokeback Mountain (2005) – projet qu’il a toutefois rejeté –, saisit l’opportunité de créer un court-métrage sur le thème du western gay. Les protagonistes de premier plan ne manquent pas de charme : Pedro Pascal, le père protecteur de The Last of Us (2023), et Ethan Hawke, l’inoubliable amoureux de la trilogie romantique Before (1995-2013). Tous deux ont incarné, au moins une fois, des figures fantasmées tant par les hommes que par les femmes. Dans cette réalisation, le pionnier de la fiction queer espagnole réunit ces acteurs dans une œuvre qui déconstruit le stéréotype poussiéreux du western, autrefois incarné par le phallocrate John Wayne.
WANTED
Tourné dans le sud de l’Espagne, le personnage de Silva (Pedro Pascal) traverse le désert dans l’espoir de retrouver son ancien partenaire (de jeu), Jake (Ethan Hawke) – anciens tueurs à gages dont les chemins ne se sont pas croisés depuis vingt-cinq ans. Le temps a passé et leurs orientations professionnelles ainsi que sexuelles ont peut-être évolué. Silva et Jake n’ont pas seulement été des complices – indifférents aux femmes, ces deux cow-boys étaient mutuellement attirés par un amour profond. Devenu shérif, Jake poursuit le fils de Silva, ce qui ne facilite pas les retrouvailles – en réalité, rien ne se déroule comme prévu. L’emblématique tension masculine propre au western s’évanouit au creux d’une douceur brute de décoffrage.
La virilité de ces visages marqués par l’aridité du désert est balayée par un amour magnétique, mais également inaccessible. Les deux hommes sont pris entre frustration, amour et haine, car cet amour les dépouille de la virilité qu’incarne l’icône du cow-boy. Un père, un shérif, un tueur de l’Ouest – ces rôles seraient gravement entachés si leur amour venait à être découvert ; leur masculinité perdrait toute crédibilité.
PRIS DE COURT
La signature optique Almodóvaresque transparaît dans chaque plan, offrant une ouverture à différentes interprétations : les gros plans sur le mobilier de la chambre, où les sous-vêtements sont soigneusement rangés, laissent entrevoir une vie de couple presque risible tant elle semble improbable. Pourtant, ce qui se trame dans ce désert est profondément sérieux.
La durée du court-métrage peut être considérée comme un coup de poker risqué, susceptible de décevoir certains spectateurs. L’intrigue s’inscrit au cœur d’une histoire d’amour contrariée par les conventions sociales dominantes ; les trente minutes sont entrecoupées de flash-back qui éclairent la relation conflictuelle des protagonistes. Les puristes du romantisme pourraient reprocher au réalisateur une certaine parcimonie, tant l’exploration de ce couple charismatique semble incomplète. L’étreinte intense est brutalement interrompue par le retour à la réalité, celle imposée par le monde où évoluent les personnages et celle propre à Almodóvar à travers ce court format. Un casting de premier ordre ne rime pas nécessairement avec un allongement du format ! Malgré sa brièveté, le film est généreux en termes d’esthétique et d’interprétation, grâce à des acteurs qui exposent de bon cœur leurs corps épris.
The Strange Way of Life de Pedro Almodóvar, 31 minutes, Pedro Pascal, Ethan Hawke, Manu Rios – Au cinéma le 16 août 2023.