Dans les arcanes d’un festival, se dévoilent parfois des œuvres aussi insaisissables que des éclats de mauvais cinéma. Cette constatation, si singulière soit-elle, s’impose comme une loi immuable du jeu. Parmi ces prodiges, Sound of Metal se détache avec une éloquence saisissante, tissant son récit en une trame d’une richesse incommensurable. Œuvre de Darius Marder, coauteur jusqu’alors méconnu mais prodigieux de l’excellent The Place Beyond The Pines, le film puise son inspiration dans les limbes de Metalhead, un docufiction avorté de Derek Cianfrance. Ce dernier narrait le destin d’un batteur, frappé d’obsolescence auditive au sein d’un couple de musiciens de hard métal.
Après une gestation laborieuse de près d’une décennie, le long-métrage s’est épanoui au sein de multiples festivals avant d’atterrir, hélas sans honneur, à Deauville. Mais dans les mémoires des spectateurs subjugués, l’empreinte du film persiste. En cet instant où ces mots prennent forme, l’horizon de sa diffusion demeure incertain, bien que l’on nourrisse l’espoir de le voir rayonner dans les écrins sacrés de nos salles obscures, même si l’ombre d’une migration vers les voies numériques se dessine. Érigé en référence sur maints aspects, il déploie une trame narrative à la fois simple et complexe, déversant une abondance de réflexions. Riz Ahmed, investissant le rôle de Ruben, batteur précipité dans les abysses de la surdité, offre une prestation magistrale. À l’instar de Sally Hawkins dans La Forme de l’eau, une partie de son jeu s’égare dans le silence, tissant une toile éloquente de langage des signes. Dans les instants où les mots se taisent, il oscille habilement entre quiétude et paroxysme, captivant l’audience de festival en festival, au-delà même des limites de l’écran. Il incarne Ruben avec une justesse sans pareille, insufflant à ce doux métrage une vie poignante. C’est une performance appelée à marquer l’histoire de son art, et l’attente fébrile de la saison des récompenses s’avère légitime, le projetant en favori aux côtés de Mads Mikkelsen pour les Oscars dans Drunk. Et il serait délictueux de ne point saluer le talent d’Olivia Cooke et de Paul Raci. Ce dernier, en second rôle prépondérant, livre des scènes d’une intensité saisissante, maniant la langue des signes avec une puissance évocatrice.
Il est regrettable que le personnage de Raci, en dépit de sa présence tutélaire auprès de Ruben, reste quelque peu en retrait dans l’ombre de l’histoire, à l’instar de Sam Elliott dans “A Star is Born”. Il incarne la voix du jugement, délivrant des vérités brûlantes, mais son arc narratif reste en partie dans l’ombre des protagonistes principaux. Quant à Cooke, elle émane en tant que voix de raison, celle d’une compagne aimante. Bien que son développement soit en retrait, son interprétation éblouissante compense largement cette lacune. Nous nous réjouissons cependant de voir le film s’écarter des sentiers battus et esquiver le piège du stéréotype de la compagne conflictuelle, privilégiant un rôle d’accompagnatrice bienveillante, loin des tumultes. À l’aune de ces considérations, tant le casting principal que secondaire se révèle être un cru d’exception.
Doté d’un scénario dense, Sound of Metal puise sa force dans la finesse de ses descriptions et la profondeur de son propos. Sous la baguette de Darius Marder, coauteur aux côtés d’Abraham Marder, le film porte la marque d’une vision singulière. À travers son ton, ses sonorités, et sa mise en scène, il frappe juste, pénétrant l’âme de son public. Toutefois, l’on pourrait déplorer un rythme parfois languissant, malgré la justesse de son atmosphère empreinte de quiétude. Au fil de ses presque deux heures, quelques coupes auraient pu être envisagées pour dynamiser le récit, mais où et quand, demeure une interrogation.
Au-delà du jeu d’acteur, de la réalisation et de l’écriture, la véritable prouesse de Sound of Metal réside dans son design sonore, véritable joyau du film. La symphonie qui se déploie à l’écran capte l’attention et nourrit l’âme. À travers un montage et un mixage habile, les spectateurs s’immergent dans l’univers intime de Ruben, partageant son déclin auditif avec une intensité palpable. Ces choix narratifs éclairent l’expérience sensorielle du spectateur, tissant un lien émotionnel saisissant. Lorsque Ruben prend sa décision, en un ultime crescendo, l’audience se fond dans son âme tourmentée, vivant sa destinée avec une empathie débordante. Si il enseigne une leçon, c’est bien celle de la vertu du son.
En un pur moment de cinéma, Sound of Metal s’évertue à trouver sa place dans les temples sacrés des salles obscures. En dépit de quelques errances dans sa dernière partie, l’œuvre de Darius Marder rayonne de mille feux à tous égards. En ressortir, c’est nourrir le désir d’apprendre la langue des signes, esquisser un sourire sincère, et savourer l’empreinte indélébile d’une expérience cinématographique unique.
Sound of Metal de Darius Marder, 2h00, Riz Ahmed, Olivia Cooke, Lauren Ridloff – Au cinéma le 16 juin 2021