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[CRITIQUE] Silent Night – Muet comme une tombe

John Woo est unanimement reconnu comme l’un des plus grands réalisateurs de films d’action des 40 dernières années. Il a révolutionné le genre avec ses œuvres imprégnées de fortes émotions, explorant des thèmes tels que la vengeance, la fraternité, le deuil et la masculinité. Après une période prolifique à Hong Kong, Woo s’est aventuré à Hollywood, laissant une empreinte indélébile sur le cinéma d’action américain, même s’il ne semblait pas être au sommet de sa forme. Son retour avec Silent Night est un récit à la fois épuré sur le plan narratif et thématique. Cependant, la structure générique et les stéréotypes du film, associés à une action décevante, ternissent la brillance qui caractérisait autrefois son travail.

Le cinéaste incarne la quintessence du réalisateur d’action, ayant redéfini les normes du genre à travers ses œuvres légendaires à Hong Kong. Des films emblématiques tels que The Killer (pas celui de Fincher), Une balle dans la tête et À toute épreuve transcendent les simples conventions du film d’action pour devenir des opéras émotionnels. Il suffit d’admirer la sortie hallucinante de Chow Yun-Fat de l’hôpital dans ce dernier pour se rendre compte du savoir-faire du cinéaste. Sa maîtrise de la violence stylisée a donné naissance au terme Heroic Bloodshed, soulignant son influence durable sur le cinéma d’action moderne. Lors de son passage à Hollywood, Woo a apporté un style visuel distinctif, mêlant une action flamboyante à un drame émotionnel, mais cette fusion a parfois déconcerté les attentes occidentales. Son retour avec Silent Night marque une évolution de son style tout en conservant les éléments narratifs et thématiques qui ont fait sa renommée. Néanmoins, l’attente d’une renaissance spectaculaire de Woo n’est que partiellement comblée par cette nouvelle réalisation.

Copyright Leonine

Le long-métrage promettait un concept novateur avec une quasi-absence de dialogue, offrant une immersion visuelle et émotionnellement intense. Cependant, le film s’enlise dans une narration générique et stéréotypée, échouant à exploiter pleinement le potentiel de son intrigue. C’est comme Taken, sauf que le fils est mort et Liam Neeson ne peut pas menacer quelqu’un au téléphone… Parce qu’il a perdu la voix. La perte tragique du fils de Brian, pivot du récit, aurait pu être le catalyseur d’une profonde exploration émotionnelle, mais le traitement superficiel des personnages et des événements déçoit. Pendant les deux premiers actes, le montage ne fait que nous marteler de flashbacks pour montrer que le Brian de Kinnaman était un bon père. Il semble aussi que le concept du long-métrage ait été contraignant, que toutes ces contraintes narratives et émotionnelles n’aient pas été prévues, et donc ils ont choisi la facilité. Le problème, c’est que cela devient très rapidement lourd. L’action demeure le point fort de Woo, caractérisée par son style visuel unique. Les séquences d’action dynamiques et frénétiques, marquées par des ralentis, des éclats de lumière et une chorégraphie précise, restent fidèles à l’esthétique singulière de Woo. Cependant, malgré cette empreinte distinctive, le film échoue à égaler les attentes suscitées par les précédents chefs-d’œuvre du réalisateur. Tout d’abord car l’action peine à arriver, et ensuite, car le metteur en scène peine à se renouveler. Ce n’est pas tant un problème, tout comme le fait que son style a tellement influencé le cinéma d’action qu’avec les récents John Wick : Chapitre 4, Farang ou Jawan, on est plus étonné par ce qu’on voit. Les élèves s’inspirent du maître, d’autres font mieux.

La force morale qui transparaissait dans les films précédents de Woo semble absente dans Silent Night. L’exploration de la quête de vengeance de Brian aurait pu être un voyage émotionnel intense, mais le film n’arrive pas à susciter l’empathie ni à saisir la complexité psychologique du personnage. L’acteur, qui investit tout dans son rôle de père endeuillé et muet, livre une performance impressionnante. Ce manque d’intensité est attribuable à l’absence cruciale d’enjeux et de profondeur dans l’histoire. Les deux premiers actes se résument à des flashbacks et à des séquences d’entraînement, tandis que le troisième acte se concentre sur la vengeance, la grande séquence d’action. Il est difficile de s’investir pleinement dans ce qui se passe. Cette approche paresseuse diminue l’expérience, privant le film de l’impact puissant qui caractérisait autrefois le travail de Woo.

Copyright Leonine

Bien que Silent Night rappelle des éléments distinctifs des œuvres antérieures du réalisateur, il ne parvient pas à capturer la grandeur qui les caractérisait. Il s’apparente plutôt à une étape dans le retour progressif de Woo, laissant entrevoir un potentiel pour des projets futurs plus ambitieux et épanouis. Malgré sa déception en termes d’action, ce film ouvre la voie à un retour potentiellement spectaculaire pour Woo. Son héritage dans le cinéma d’action reste indéniable, et Silent Night pourrait bien être le prélude à des réalisations futures plus ambitieuses. Rien n’est irrémédiable, mais tout doit s’améliorer. Il s’agit d’une série B qui, malgré sa lourdeur, réussit dans sa volonté de développer un concept en 1h30. On espère que le cinéaste retournera un jour à Hong Kong pour créer des films percutants, détruire des bâtiments et collaborer avec ses anciens collègues.

Silent Night de John Woo, 1h44, avec Joel Kinnaman, Kid Cudi, Catalina Sandino Moreno – Sur Prime Vidéo le 29 décembre 2023