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[CRITIQUE] Monsieur Aznavour – La bohème ? Non, la galère !

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Par Louan Nivesse

Si l’on devait résumer Monsieur Aznavour en une phrase, ce serait probablement : “un biopic raté qui s’auto-saborde avec une ambition mal placée et une paresse scénaristique exaspérante.” Non seulement il n’apporte rien de révolutionnaire, mais il échoue, pire encore, à rendre hommage à l’un des plus grands artistes français. On devrait plutôt parler d’une catastrophe industrielle. Conçu pour plaire aux masses, il se révèle non seulement fade, mais également complètement déconnecté de l’essence même de son sujet. Mais pourquoi un tel naufrage ?

Dès les premières minutes, une évidence saute aux yeux : Monsieur Aznavour n’a pas pour ambition de nous surprendre. L’introduction coche mécaniquement toutes les cases du biopic classique : enfance difficile, jeune garçon rêveur, défis surmontés grâce à une volonté de fer. Du déjà-vu, cent fois. La seule réaction possible ? Un soupir d’exaspération. Ce n’est plus une narration, c’est une formalité. Qu’est-ce qui aurait pu sauver ce début ? Peut-être une approche plus intimiste, un regard moins complaisant, quelque chose qui aurait déstabilisé nos attentes. Mais non. Le long-métrage démarre comme il va continuer : avec le pied sur le frein de l’originalité. Ce qu’on nous sert ici, c’est du fast-food biographique, calibré pour ne heurter personne et plaire à tout le monde. C’est aseptisé à mort. Et si seulement cela ne se limitait qu’à l’introduction…

Copyright Rémi Deprez

Passée cette ouverture insipide, on entre dans une phase plus dynamique : Charles Aznavour (Tahar Rahim) et son partenaire musical Pierre Roche (Bastien Bouillon, fascinant par sa performance oscillant entre le surjeu et la justesse) partent à la conquête de l’Amérique. On se dit alors que quelque chose va enfin décoller. C’est le classique duo en route vers la gloire, le “buddy movie” qui aurait pu briser les codes du biopic. Quelques échos d’America, America d’Elia Kazan se font sentir, notamment avec l’arrivée à New York et la découverte de l’île des immigrés illégaux. Mais ici, on ne fait que frôler ces références. On effleure des idées sans jamais les approfondir. Ce duo aurait pu devenir un fil rouge passionnant, une amitié mise à l’épreuve par la célébrité, mais au lieu de cela, on assiste à une relation fonctionnelle, sympathique certes, mais sans plus. Rapidement, Grand Corps Malade et Mehdi Idir l’abandonnent pour tomber dans l’abdication totale.

C’est là que les choses commencent sérieusement à dérailler. Après cette parenthèse anodine, Monsieur Aznavour glisse dans une routine ennuyeuse : des numéros musicaux. Encore et toujours, filmés de la même manière. On en vient à se demander si les réalisateurs ont compris que la répétition tue l’émotion. Chaque scène de concert est filmée comme la précédente : un plan-séquence interminable entre la scène et le public, sans jamais justifier sa longueur ou sa lourdeur. On pourrait croire à une démonstration de virtuosité, mais non, c’est juste un étalage de savoir-faire technique sans âme. Le problème n’est pas tant l’abondance de chansons – après tout, c’est un biopic sur un chanteur – mais bien l’absence flagrante de vision derrière leur mise en scène. Une succession interminable de performances identiques, comme assister à un mauvais concert où toutes les chansons finissent par se ressembler.

Copyright Tukimuri

Parfois, l’œuvre tente de prendre des risques, ou du moins, essaie de nous le faire croire. Prenons par exemple le passage où Aznavour est vaguement comparé à Tony Montana dans un pastiche de Scarface. Une idée aussi étrange qu’inutile. Comparer Aznavour à un gangster légendaire ? Pourquoi pas, à condition d’avoir quelque chose à dire derrière. Ici, ce n’est qu’un clin d’œil sans substance. On pourrait presque imaginer les réalisateurs se disant : “Et si on ajoutait une touche de Scorsese, ça rendrait tout ça plus classe.” Sauf qu’un biopic sur un chanteur, aussi déterminé soit-il, n’a rien à voir avec l’univers des gangsters. Ces références à des films comme Les Affranchis ou Casino semblent tomber du ciel, comme si il voulait désespérément avoir l’air cool, sans jamais comprendre que le style ne suffit pas. Scorsese, c’est des enjeux de vie ou de mort. Aznavour, c’est… chanter. Il y a là un malentendu fondamental entre la forme et le fond.

Et parlons-en, de la forme. Le visage de Tahar Rahim, rajeuni à coups de techniques numériques, évoque l’une des expériences les plus malaisantes du cinéma contemporain : l’effet “vallée dérangeante”, cette sensation de malaise quand un visage numérique paraît trop lisse, trop artificiel pour sembler réel. On avait déjà vu ça dans The Irishman de Scorsese, et ici, c’est pareil, en pire. Le visage de Rahim ressemble parfois à celui d’un personnage de jeu vidéo de mauvaise qualité. Monsieur Aznavour veut nous faire croire que Rahim est Aznavour, mais tout ce qu’on voit, c’est une marionnette en plastique. Un choix artistique qui aurait pu être évité, surtout quand on sait que la technologie n’est pas encore au point pour ce type d’effets. Résultat ? Une immersion sabotée, un protagoniste déshumanisé, et une performance d’acteur qui perd toute spontanéité. À force de vouloir trop bien faire, on en arrive à quelque chose de grotesque.

Copyright Pathé

Il semble d’ailleurs que les cinéastes en soient conscients, car cet effet de répétition se reflète dans la manière dont ils filment leur acteur. Ils tentent absolument de capturer les rares similitudes physiques entre Rahim et Aznavour, se concentrant presque exclusivement sur le “bon profil” de l’acteur, celui où la ressemblance est la plus frappante. Nous nous retrouvons toujours du côté droit de son visage, celui où l’œil est légèrement plus bas que l’autre, où le sourcil est plus fourni, et où la bouche semble plus tombante. Ce profil, on peut le décrire parfaitement, car c’est presque la seule chose que les réalisateurs filment. Dès qu’ils sont obligés de montrer autre chose, notamment des plans de face, la “vallée dérangeante” refait surface. On ne s’y habitue jamais. Et cela n’est pas aidé par le jeu limité de Rahim, réduit à un éventail de trois mimiques tournant en boucle. Ajoutez à cela un montage problématique. Initialement prévu pour durer quatre heures, il a été réduit à 2h14, et cela se ressent. Des séquences-clés sont expédiées en quelques secondes, sans explication ni développement. Truffaut ? Sinatra ? Johnny Hallyday ? Mentionnés, puis aussitôt oubliés. Le biopic coche des cases, mais ne développe jamais rien. Et la mise en scène suit la même logique : iconisation des corps avant de montrer les personnages frontalement, toujours accompagnée d’un silence artificiel.

Chaque passage marquant de la vie d’Aznavour est bâclé, traité avec une superficialité consternante. Comment éprouver la moindre émotion quand on saute d’un événement à l’autre sans jamais s’y attarder ? Un autre problème majeur réside dans les personnages secondaires. Qui sont-ils ? Que ressentent-ils ? On ne le sait pas, et le biopic ne s’en préoccupe pas non plus. Aznavour monopolise l’écran, tandis que ses proches – pourtant essentiels dans sa vie – sont réduits à de simples accessoires. Ses parents, ses compagnes, ses amis : tous sont esquissés si légèrement qu’ils en deviennent invisibles. Cela affaiblit la narration et l’impact émotionnel des scènes qui auraient dû être poignantes. Monsieur Aznavour c’est l’exemple parfait d’un cinéma paresseux, plus soucieux de briller que d’émouvoir. Il se termine sans qu’on ne se soit jamais vraiment intéressé à son protagoniste. Une œuvre lisse, fade, et déconnectée, qui donne envie de retourner écouter les vraies chansons d’Aznavour pour retrouver un peu d’émotion authentique.

La bohème, la bohème.
Ça ne veut plus rien dire du tout.

Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade, 2h14, avec Tahar Rahim, Bastien Bouillon, Marie-Julie Baup – Au cinéma le 23 octobre 2024

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