Le scénariste-réalisateur Sam Levinson, héritier du prestigieux cinéaste Barry Levinson et maître d’œuvre de la série HBO Euphoria, n’est point étranger à la transgression des normes et à l’exploration des territoires interdits de l’âme humaine, là où d’autres hésitent à s’aventurer. Pensez donc à sa comédie noire et controversée Assassination Nation de 2018, qui a brillamment mis en lumière les enjeux brûlants de notre ère liés aux médias sociaux, au sexting et au désespoir adolescent, tout en ébranlant les certitudes du public et en l’obligeant à affronter la cruauté de notre époque. Ou encore à la série Euphoria, œuvre largement acclamée, qui, malgré les critiques la décriant pour son traitement brutal de la jeunesse contemporaine, n’a jamais fléchi dans son exploration sans compromis de la sexualité et de la toxicomanie chez les adolescents. Qu’on les aime ou qu’on les déteste, les traits stylistiques distinctifs de Levinson capturent avec une justesse inouïe les tourments de la génération Z, peut-être mieux que tout autre auteur de notre époque. Mais plus que tout, au-delà des défis qu’il expose dans son art, Levinson évite de devenir simplement une figure de provocation; chaque histoire qu’il met en scène à l’écran est l’authentique récit d’un individu, raconté sans fard ni artifice hollywoodien, et cet engagement envers la franchise est plus prégnant que jamais dans son troisième long métrage, Malcolm & Marie.
Tourné en plein cœur de la pandémie de COVID-19, Malcolm & Marie a dû surmonter maints obstacles pour voir le jour. Du 17 juin au 2 juillet 2020, l’équipe a dû faire preuve de créativité et de résilience pour mener à bien cette entreprise ambitieuse. Pourtant, malgré ces défis, la passion qui animait cette équipe se ressent à chaque plan du film. Sur une durée captivante de 106 minutes, Le long-métrage nous plonge dans l’intimité tumultueuse d’un couple en proie à une crise existentielle. Après la première du film de Malcolm, les tensions éclatent, révélant les fissures profondes qui lézardent leur relation. Inspiré en partie par une expérience personnelle, Levinson explore les méandres complexes de l’amour et de la créativité, transcendant les frontières des arts pour sonder les tréfonds de l’âme humaine. Bien que le récit semble initialement pencher en faveur de Marie, la narration reste remarquablement équilibrée, offrant à chaque personnage des moments d’introspection poignants.
Partiellement inspiré par un épisode de son propre passé, où il se débattait avec sa femme après la première d’Assassination Nation, Sam Levinson façonne Malcolm & Marie sur cette base familière pour en extraire quelque chose de totalement inédit. Le film scrute avec acuité les préoccupations des couples dans le monde des arts créatifs, mais aussi les vicissitudes inhérentes à toute relation authentique, révélant sans fard les aspérités de la cohabitation avec un être imparfait. Bien que la tendance puisse pencher vers une sympathie pour Marie, surtout lorsque les comportements regrettables de Malcolm sont révélés davantage, le script enflammé de Levinson reste d’une impartialité remarquable. Chaque personnage (et acteur) se voit offrir des monologues mémorables et des joutes verbales enflammées qui laissent éclater toute leur palette émotionnelle, exposant sans réserve leurs points de vue avec une véhémence parfois déconcertante, sans laisser le moindre non-dit.
Evitant habilement le piège de devenir une simple scène de ménage étirée à la longueur d’un long métrage, Levinson aspire à offrir un spectacle d’une intensité inouïe, reflétant le tumulte des véritables couples et reproduisant de manière crédible les schémas de ces disputes dans la vie réelle. Car la colère n’est pas constante, et la façon dont Malcolm et Marie se confrontent, se pardonnent et se trouvent bientôt de nouvelles raisons de se quereller est douloureusement familière pour quiconque a vécu une relation tumultueuse. De plus, Levinson utilise Malcolm & Marie comme une tribune pour critiquer le monde du 21e siècle, dénonçant ceux qui réduisent les enquêtes artistiques à de simples préoccupations sociales et ceux qui considèrent les créateurs de couleur à travers des prismes étroits où leurs histoires ne sont jamais reconnues comme des témoignages d’une expérience plus vaste, mais plutôt comme de simples productions “ethniques”.
Comme le souligne Malcolm dans un monologue percutant, “Tout ce que je fais n’est pas politique parce que je suis noir“, cette réplique résonne alors qu’on se trouve confronté à la fréquence avec laquelle les cinéastes noirs sont catégorisés en fonction de leur race, alors même que leur diversité de styles et de récits devrait être mise en avant. Tandis que les critiques s’évertuent à “dire la bonne chose” ou à paraître “progressistes”, nombreux sont ceux qui ne remarquent pas l’impact de leurs efforts sur la représentation authentique et inclusive de la richesse des talents de l’industrie cinématographique. Les témoignages brûlants de Malcolm et Marie sur ce sujet sont trop incendiaires pour être ignorés, mettant en lumière les failles d’un système qui, malgré ses prétentions, peine à véritablement embrasser la diversité et l’équité.
Dans le rôle enflammé de la première moitié de ce couple tumultueux, John David Washington éblouit par son interprétation, dévoilant une profondeur qui dépasse même celle qu’il a apportée à son rôle dans le distingué BlacKkKlansman. Incarnant Malcolm, un personnage terriblement imparfait mais irrésistiblement charismatique, Washington captive le spectateur à chaque tirade contre les critiques audacieux ou lorsqu’il défend avec fougue l’intégrité de ses idées face à Marie. Malgré les reproches que l’on pourrait lui adresser pour ses facéties enfantines et ses lacunes regrettables, il demeure captivant de bout en bout. Son adhésion totale à l’état d’esprit de Malcolm et sa capacité à transmettre avec subtilité son acuité au public dans chaque scène sont remarquables. Washington incarne avec brio l’orgueil de Malcolm, humanisant le cinéaste frénétique tout en ne dissimulant jamais ses failles, offrant ainsi une représentation persuasive d’un personnage complexe et contradictoire.
Cependant, comme beaucoup l’ont déjà souligné avec éloquence, c’est la fascinante partenaire de Washington, Zendaya, qui brille véritablement dans le film. Elle donne une nouvelle dimension au dicton “L’enfer n’a pas de fureur comme une femme méprisée”, déchirant le tumulte tel un tsunami de rage et de ressentiment. Levinson dote le personnage de Marie, interprété par Zendaya, de multiples couches d’angoisse relationnelle, permettant à la jeune star de révéler progressivement ces tourments tout au long de la soirée, gardant une part de mystère jusqu’à la conclusion. Ce qui commence comme un simple ressentiment se métamorphose lentement en un chagrin et une douleur bien plus profonds, révélant la détresse profondément ancrée de Marie. Zendaya réussit à exposer efficacement la gamme de ses émotions tourmentées, gardant les spectateurs en haleine, incapables de prédire son prochain mouvement. Cette performance remarquable devrait mettre fin à toutes les réserves.
En coulisses, la direction de Levinson se révèle tout aussi dynamique que son écriture somptueuse, exploitant magistralement le potentiel de cette situation huis clos. Toutefois, c’est Marcell Rév (connu pour son travail sur Assassination Nation et Euphoria) à la direction de la photographie en noir et blanc qui insuffle au film une sophistication indéniable, évoquant l’âge d’or d’Hollywood et conférant à Malcolm & Marie une atmosphère de romance classique irrésistible. De même, la musique envoûtante de Labrinth s’accorde parfaitement avec l’esthétique intemporelle du film, offrant une dimension supplémentaire à l’expérience cinématographique.
Le long-métrage se dresse comme une œuvre d’art monumentale, avec un scénario captivant qui explore une histoire d’amour tumultueuse sous une surface en apparence lisse, tout en abordant simultanément des thèmes socialement pertinents. Les performances puissantes de Zendaya et John David Washington révèlent pleinement la complexité de ce couple chaotique, captivant le spectateur dès la première image jusqu’à la dernière. Ce type de mélodrame émotionnel est rare de nos jours, et il convient de louer le scénariste-réalisateur Sam Levinson et ses deux acteurs pour avoir insufflé une nouvelle vie au médium avec une œuvre aussi magistrale et significative que Malcolm & Marie. Ce film nous rappelle la primauté éternelle des histoires dans le monde du cinéma.
Malcolm & Marie de Sam Levinson, 1h46, avec John David Washington, Zendaya – Disponible sur Netflix