Sorti à Hong-Kong en 2021, et diffusé quelques semaines plus tard à l’étrange festival à Paris, Limbo arrive enfin dans les salles françaises. Nous suivons deux inspecteurs de police qui pourchassent un tueur en série qui démembre ses victimes, toutes des femmes.
Le postulat et l’ambiance visuelle du film rappellent Dog Bite Dog, que Soi Cheang a réalisé en 2006, à travers cette traque sans répit d’un tueur dans des recoins sales et lugubres de Hong-Kong. À la différence qu’ici, le point de vue est davantage centré sur les enquêteurs, ne laissant pas vraiment de place à un quelconque développement du meurtrier. Ce n’est pas forcément une tare, le film adoptant ainsi un parti pris proche de Seven, de David Fincher, tant sur l’aspect narratif avec ce duo de flics (un plus âgé et l’autre plus jeune), que sur l’ambiance visuelle, entre pluies diluviennes et décors extrêmement poisseux et glauques.
Soi Cheang s’est entouré de Cheng Siu-keung, le chef opérateur de Johnnie To, pour composer une photographie d’un noir et blanc somptueux, se révélant également très pertinent dans une symbolique de dévitalisation de la ville, post-rétrocession. Jamais la Perle d’Asie n’a été filmée ainsi, dans une atmosphère de fin du monde, où la crasse et les détritus règnent sous une pluie battante, révélant les aspects les plus sombres de l’âme humaine. Le cinéaste faisait déjà traverser des ruelles sales et des montagnes de déchets à ses personnages dans Dog Bite Dog, en les confrontant à une certaine violence, mais ici, il pousse tous les potards plus loin.
En effet, le personnage du flic était déjà assez ambigu, avec des méthodes contestables, mais dans Limbo, le policier interprété par Gordon Lam, acteur habitué des films de Johnnie To, est complètement désabusé, et use de son autorité pour martyriser violemment la jeune femme ayant renversé accidentellement son épouse, désormais dans le coma, afin de lui soutirer des informations sur le tueur. À plusieurs reprises il s’acharne sur cette pauvre fille, à tel point que ces excès de violence gratuite deviennent difficiles à regarder. C’est le cas d’à peu près toutes les scènes de violence du film d’ailleurs, que Soi Cheang orchestre de sorte à mettre l’accent sur la souffrance physique et psychologique des personnages.
On pourra à ce titre regretter une surenchère de dramaturgie, notamment dans la dernière partie du film, concernant la femme du policier, et le destin de celui-ci, donnant un certain côté artificiel au film, déjà assez pesant psychologiquement jusque-là. Cependant, il est évident que cette œuvre radicale de Soi Cheang fait un bien fou dans le contexte actuel des productions hong-kongaises, retournant presque à la catégorie 3 qui battait son plein avant la rétrocession à la Chine. Un polar désespéré, d’une noirceur ahurissante, dans lequel les personnages doivent traverser un véritable labyrinthe de crasse et de déchets, tels des rats dans les égouts.
Limbo, de Soi Cheang, 1h58, avec Gordon Lam et Mason Lee – Au cinéma le 12 juillet 2023