Le premier long-métrage de la réalisatrice et scénariste Iris Kaltenbäck, Le Ravissement (à ne pas confondre avec le dernier Bellocchio), débute de manière assez banale, comportant tous les défauts que l’on est en droit d’attendre d’une première tentative. On y retrouve un synopsis maintes fois vu, traitant des conséquences d’un mensonge, ainsi qu’une voix-off omniprésente qui, en tentant de sur-expliquer, finit par compromettre chaque instant de potentiel suspense. Pourtant, au fur et à mesure que les mois s’écoulent depuis sa présentation au festival de La Rochelle, je trouve que le film gagne en intégralité. Ses imperfections s’estompent, tout comme son personnage principal, et laissent place à des réflexions originales sur la solitude et la façon dont nous interagissons avec autrui.
Lydia, une sage-femme interprétée par Hafsia Herzi, se sent terriblement seule depuis l’accouchement de sa meilleure amie. Parallèlement, elle se trouve de plus en plus attirée par Milo, incarné par Alexis Manenti, qui cherche à l’oublier. Lorsque le destin les réunit par hasard devant Lydia et Esmée, le bébé de son amie, le drame se met en marche : la sage-femme décide de faire croire à Milo que l’enfant qu’elle tient est le leur. Ce mensonge, annoncé presque avec désinvolture, transforme instantanément le film en un objet complexe. En quelques secondes, ce qui semblait être une comédie dramatique bascule vers un thriller d’une violence incroyable envers le personnage de Milo. La protagoniste se métamorphose alors en une femme en proie à une extrême solitude, dont les rares moments de bonheur sont bâtis sur un mensonge brutal pour tous ceux qui l’entourent. Une situation complexe, remarquablement interprétée par Hafsia Herzi, qui évolue comme un spectre dans de nombreuses scènes, hantant ses proches pour tenter de s’approprier un peu de leur joie. Cependant, dès le début du film, il est évident que tout cela va très mal se terminer.
La voix-off, que j’avais initialement trouvée médiocre, évolue également pour nous guider dans la bonne direction. Si l’on comprend immédiatement que le film évoluera vers le drame, Le Ravissement ne cherche pas à être un film de suspense, mais plutôt quelque chose de différent. Il se concentre davantage sur la situation de Lydia que sur les conséquences de ses mensonges dangereux. Il devient particulièrement original en évitant de se cantonner au thriller classique pour développer davantage le concept de “ravissement”. Ce que Lydia vole, ce n’est pas tant un bébé que la vie de son amie. Elle tente de s’emparer de la joie de ses proches, jalouse de leur capacité à ne pas sombrer dans le désespoir et la tristesse. Cela fait d’elle un personnage ambigu et mystérieux. Le suspense réside donc dans le film, mais il concerne davantage la personnalité de Lydia que ses actes. Après réflexion, la voix-off s’avère astucieuse car elle appartient à Milo, un observateur extérieur qui, tout comme le spectateur, ne parvient jamais à cerner complètement Lydia.
C’est quoi le cinéma selon Iris Kaltenbäck ? Avec ce premier film, la cinéaste se révèle comme une créatrice de personnages hors pair, d’autant plus réussis lorsqu’ils demeurent dans l’ombre. En les plaçant dans des environnements communs, presque ordinaires, comme un parc, un bus ou une salle d’attente, elle les rend palpables. Cependant, une atmosphère étrange plane continuellement, que ce soit grâce à la captivante bande-son d’Alexandre de la Baume ou à la photographie à la fois granuleuse et colorée, nous plongeant à la frontière d’une fiction périlleuse. Ce mélange de genres et d’ambiances renforce l’ambivalence du personnage principal, à la fois terriblement attachant et dangereux. Le véritable ravissement se produit dans ma propre perception du film. Depuis des mois, je n’arrête pas de repenser à ces scènes nocturnes où Lydia erre dans la ville, tel un fantôme, à la recherche d’un peu de chaleur humaine.
Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, 1h37, avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse – Au cinéma le 11 octobre 2023
-
William Carlier7/10 BienPremier long-métrage, Le Ravissement est un drame convaincant à la fois doux et en tension permanente.
-
Enzo Durand6/10 Satisfaisant
-
Vincent Pelisse7/10 Bien