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[CRITIQUE] Le mal n’existe pas – Un cycle naturel

Grand prix du jury à la Mostra de Venise, Le Mal n’existe pas s’éloigne partiellement des contrées rohmeriennes du cinéma de Ryusuke Hamaguchi sur un rythme plus retenu. À l’instar d’Eric Rohmer, il s’est employé à plusieurs reprises aux récits de chassé-croisé amoureux, tant sur Asako I et II que le plus récent Contes du hasard et autres fantaisies. S’il ne s’agit pas tellement de cela dans sa dernière production, les scènes de dialogues rappellent toujours autant la marque distinctive du maître français. Elles sont ciselées, déchargées d’un caractère utilitariste laissant parfois l’impression d’une improvisation. La composition des cadres convient à la position des personnages, et les dialogues sont retranscrits intégralement par l’usage de plan fixes.

Dans son quotidien modeste, Takumi récupère du bois lorsqu’il n’oublie pas d’aller chercher sa fille Hana à l’école. L’annonce du projet de construction d’un « glamping » (camping glamour) l’inquiète, tout comme les autres villageois. L’implantation d’une fosse septique pourrait polluer le ruisseau dont l’eau de source est utilisée, sans parler du risque accru d’incendie de forêt. Takahushi et Mayuzumi, employés de l’entreprise derrière le projet, tentent de rassurer les habitants en affirmant qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. 

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Le Mal n’existe pas débute sur un travelling latéral de quatre minutes sur des arbres défilant à toute vitesse. Le plan suivant, Hana les observe. Hamaguchi introduit un contraste entre le mouvement et le son, car la musique s’arrête également. Le temps semble long pour les personnages, habitués à leur routine consistant à effectuer les mêmes tâches. Parallèlement, l’arrivée de deux citadins dynamise le rythme du récit, perturbant l’ordre établi par leurs déplacements intempestifs.

Cette manière de brouiller le rapport au temps du spectateur est en phase avec l’état psychologique du protagoniste, encore bouleversé par le deuil de sa femme. Les choix de mise en scène s’inscrivent dans la mise à distance avec les individus, se contentant de capturer l’état de la nature. Le cinéaste ne néglige pas de répondre à la demande de sa compositrice Eiko Ishibashi (Drive My Car), qui souhaitait donner des images à ses mélodies de cordes.

Les effets stylistiques demeurent simples: la caméra est parfois tremblante, le traveling initial fait écho à celui de la conclusion, et le plan-séquence est utilisé lorsqu’un personnage coupe du bois. Hamaguchi illustre un équilibre de vie différent pour la nature, Takumi, et les deux citadins, manifesté à travers un montage brut du son et de l’image. Le long-métrage reflète les étapes de l’évolution de l’écosystème, parfois nécessitant un changement.

La bascule narrative du récit intervient lors d’une scène de confrontation entre le village et la ville : les villageois réclament des concessions aux citadins qui semblent méconnaître l’environnement où le site touristique sera implanté. À Tokyo, une réunion en ligne avec le chef de ce projet est à la fois drôle et frappante en raison de la déconnexion entre les individus. Ils ne communiquent que lorsqu’on leur pose des questions, sans initiative propre. Une opposition est mise en avant sans pour autant caricaturer les collaborateurs de l’entrepreneuriat.

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Takahushi et Mayuzumi se révèlent attachants, bien qu’un peu perdus dans leurs vies respectives, tout comme Takumi, voire davantage. Assis dans leur voiture, ils ressentent le besoin d’avancer et de reprendre le contrôle de leur vie. L’existence du mal, telle que suggérée parle titre, est ambiguë : le mal n’existe pas et existe à la fois. Les motivations de ces individus évoluent simplement parce qu’ils ont des désirs différents et réagissent de manière distincte. Le tragique survient lorsque les trois mondes finissent par se rejoindre, la rupture se manifestant par un retour à la violence. Pourtant, le cinéaste décide de capturer cet événement en plan d’ensemble, avec le parc naturel en arrière-plan comme décor du spectacle.

Sobre, le dernier acte atteint le sublime en rapprochant les comportements humains de ceux des animaux. L’instinct primaire de Takumi se confond avec celui du cerf sauvage protégeant son bébé, précédemment décrit comme inoffensif sauf en cas de peur. L’apparition de l’animal intervient symboliquement à l’écran, un éclat de divin reflété par le point d’eau. Ce mystère du récit représente surtout un fait disruptif venant briser un équilibre fondé.

Bien que les thèmes écologiques soient présents, notamment sur la préservation de l’environnement, Ryusuke Hamaguchi ne les explicite jamais de manière trop appuyée. La description précise de la routine des individus est aussi importante que l’atmosphère du paysage, imprégnée de sérénité. La photographie de Yoshio Kitagawa brille par son expressivité en résonance avec les sonorités évocatrices, passant du calme au tumulte des coups de feu. Les forces se désagrègent pour être réunies dans une harmonie nouvelle.

Le Mal n’existe pas de Ryusuke Hamaguchi, 1h46, avec Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa, Ryûji Kosaka – Au cinéma le 10 avril 2024

9/10
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  • William Carlier
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