[CRITIQUE] Drive My Car – Se guider

Drive My Car évoque par beaucoup d’aspects, l’affranchissement de l’artiste et le dépassement des barrières de la communication, ce qui n’est pas très étonnant lorsque l’on sait que le long-métrage est l’adaptation d’une nouvelle écrite par Murakami.  Le personnage principal, Yusuke est un acteur et metteur en scène marié à une dramaturge, Fukaku.  Suite au décès de sa femme atteinte d’une hémorragie méningée, il tente pour une nouvelle fois de mettre en scène la pièce de Tchekhov « Oncle Vania », tout en acceptant de se faire conduire par une chauffeuse, Misaki. Le passé refait surface, et Yusuke n’a jamais eu autant besoin d’exprimer ce qu’il ressent…

Evidemment, le récit de Drive My Car ne donne pas immédiatement toutes les clés de l’intrigue, il s’agit d’étudier cette galerie de personnages troublés par les affres et traumas de la vie. Comme pour Burning de Lee Chang-Dong, les protagonistes nagent dans l’inconnu et souffrent de ne pas pouvoir être libres dans leurs actions quotidiennes. La fiction existe pour que soit possible l’expression des sentiments et émotions gardées sous silence des artistes, à rappeler l’épilogue de Burning. Outrepasser la fiction, c’est également se dépasser soi-même pour un nouveau départ. Tant de thèmes donc, qui prolongent parfaitement le deuil vécu par le personnage principal, comme celui de la chauffeuse envers sa mère, mais encore les traumatismes d’une vie vécus par les autres ; entre fausse couche, perte de l’enfant, homicide involontaire. Drive My Car est alors un film sur la reconstruction. Du visage de Yusuke, il ne reste plus d’expression : figé, l’esquisse d’un sourire peine à être vue, comme celui de Musaki.  La lamproie telle que décrite par Fukaku dans son histoire fictive, n’est autre que l’ensemble des personnages. De l’acte sexuel à la confidence d’un ami proche, il faut que le silence soit rompu et que les choses soient dites. Ce n’est pas un hasard si la muette est la plus expressive, contrôle ses émotions mieux que quiconque. La sublime scène du repas entre le collaborateur et la muette avec Yusuke et Misaki en dit long, le personnage principal regarde le couple qu’il n’a jamais pu avoir.  Un couple brisant toutes les barrières de la langue, de l’incommunicabilité jusqu’au handicap physique : l’artiste accompli n’est jamais celui dans la retenue, mais celui qui se confie dans la plus grande sincérité, sachant reconnaître ses erreurs mais surtout se connaître intérieurement.

© 2021 Culture Entertainment/Bitters End/Nekojarashi/Quaras/NIPPON SHUPPAN HANBAI/Bungeishunju/LESPACE VISION/C&I/The Asahi Shimbun Company

Le jeu des acteurs est absolument magnifique et donne lieu à des scènes d’une splendeur absolue. On pensera notamment à celle où le jeune comédien narre la suite de la fiction imaginée par Fukaku, pleurant à l’idée de saisir le plus grand trouble de la femme : celui de ne plus réussir à se remémorer les souvenirs et choses confiés à son mari, se sentir « violée » comme vidée de ce qui la rendait heureuse dans son couple ; abattre l’autre comme s’abattre soi, ne plus ressentir de désir et vivre l’acte sexuel comme une routine mécanique. Hamaguchi illustre ces ressentis psychologiques par la mise en scène, des panoramiques scrutant l’espace comme ces personnages rongés de l’intérieur, il ne cesse de représenter ces trajets en voiture comme la poursuite d’un acheminement vers la repentance, puis le relèvement. Se diriger vers le studio de théâtre comme le village de la jeune fille pour s’affranchir de ses pêchés, reconnaissant que l’on a pu tuer l’autre en se tuant soi également. La communication permet de résoudre l’insolvable apparent, se délivrer du mal qui nous entoure et se lier à nouveau d’affection pour son prochain. Cela demande parfois un long trajet, quelques phrases de théâtres, une rencontre fortuite.

Des tunnels jusqu’à l’usine de traitement  de déchets à la maison enfouie, le véhicule rouge s’abandonnant dans ces contrées, traverse les traumas émotionnels des personnages, mieux que jamais et sans décor théâtral. C’est peut-être la différence entre la fiction et le réel, l’absence du concret, mais un écart absolument essentiel. Si la meilleure représentation de la pièce de Tchekhov est celle qui se joue devant leurs yeux, cette galerie de personnages aux troubles similaires partagée entre eux, la communication dans la réalité n’a essentiellement d’importance, que la reconnaissance personnelle de ses fautes et le partage de sa douleur au proche. La fiction, comme la mise en scène théâtrale où Yusuke saura enfin reproduire cette même émotion avec maîtrise, n’a de fin que l’aboutissement de cette reconnaissance : la confirmation de ce que l’on a ressenti. Yusuke comme Fukaku se représentaient la fiction comme figure absolue de la libération de leurs maux, l’artiste comprendra son erreur dans la dernière partie du film. Il aurait du lui parler, lui exprimer davantage son amour et ses tracas. La fiction est le testament de ce que l’on accepte d’affirmer dans la réalité, pas l’inverse. La réalité importe avant tout, le théâtre ne reste que son illustration. Le dépassement de la condition des personnages sera alors possible, le jeune acteur le fera à défaut d’avoir précédemment commis l’irréparable : à trop réfréner l’émotion au théâtre, il l’exprime dans la réalité de manière inconstante, presque douloureuse. Il incarne le théâtre, la passion effervescente de l’acteur investi dans son rôle mais déconnecté de la réalité. Les autres, que ce soit Misaki ou Fukaku sauront se relever, se prendre dans les bras. Ils pourront à nouveau guider les autres, mais surtout se guider eux-mêmes.

© 2021 Culture Entertainment/Bitters End/Nekojarashi/Quaras/NIPPON SHUPPAN HANBAI/Bungeishunju/LESPACE VISION/C&I/The Asahi Shimbun Company

Drive My Car est une merveille scénaristique, sublimée par une mise en scène toute en finesse. Le calme et le silence des atmosphères est aussi doux qu’il est symbolique d’une émotion retenue des personnages. Du plan fixe, la contemplation de l’environnement comme de l’expression de visage laisse l’impression de ne connaître qu’en surface ce qui se déroule devant nos yeux. C’est le charme de la vie, se redécouvrir et revoir le monde sous un nouveau jour.

Note : 4.5 sur 5.

Drive My Car disponible à l’achat et à la location sur viva.videofutur.fr

Sortie au cinéma le 18 août 2021.

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