Rechercher

[CRITIQUE] Le Garçon et le Héron – L’âme pure de l’animation (Festival Lumière 2023)

Cette année est véritablement exceptionnelle. En 2023, des cinéastes octogénaires tels que Takeshi Kitano, Martin Scorsese et Michael Mann ont décidé de revenir à l’écran. Dans la continuité de ces vétérans du cinéma, le grand Hayao Miyazaki a finalement dévoilé son nouveau film, dix ans après Le Vent se Lève et après plus de six années de travail, en partie ralenti par une importante pandémie. Avons-nous des doutes quant à la qualité de son nouveau film ? Pas du tout, car comme toute sa filmographie, son dernier opus est une œuvre monumentale. Pour son nouveau projet, Miyazaki est toujours bien entouré. Produit par son ami de longue date Toshio Suzuki et avec une musique composée par Joe Hisaishi, nous sommes dans un territoire familier du point de vue technique, mais aussi en ce qui concerne les thèmes chers au réalisateur. Après avoir réalisé un film plus mature avec Le Vent se Lève et un film destiné aux jeunes (mais aussi aux adultes) avec Ponyo sur la Falaise, presque vingt ans après Le Château Ambulant, Miyazaki revient avec un film qui s’inscrit dans ce registre plus mature, tout en restant profondément ancré dans l’enfance, s’adressant ainsi à une certaine jeunesse, à l’image de Princesse Mononoké ou du Voyage de Chihiro.

Se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale, Le Garçon et le Héron suit le jeune Mahito, récemment endeuillé par la perte de sa mère. Sous la pression de la guerre, lui et son père quittent Tokyo pour emménager dans le manoir familial, un endroit qui, selon les habitants plus âgés de la région, est le théâtre d’événements étranges depuis des décennies. Ce qui frappe immédiatement en regardant son nouveau film, c’est que son imagination est toujours aussi débordante, même à plus de 70 ans. Son talent pour créer un monde inventif et cohérent n’a pas diminué. Chaque créature est novatrice et apporte quelque chose à l’histoire, que ce soit sur le plan comique ou dramatique. Chaque personnage est unique et parfaitement réussi, contribuant brillamment à l’empathie. Sur certains aspects, ce film rappelle Le Voyage de Chihiro, que ce soit par l’entrée dans un monde fantastique ou par le fait que l’imagerie du film flirte souvent avec les frontières de l’imaginaire enfantin, pouvant basculer dans quelque chose de plus terrifiant à tout moment.

L’imagerie est également surprenante. Si Miyazaki apporte de la nouveauté à travers les mondes et les créatures qu’il développe dans le film, cette nouveauté se manifeste également dans certaines scènes uniques. Le Garçon et le Héron est le deuxième film du réalisateur qui se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, il s’agit du premier film où il traite directement de la guerre ayant touché les civils japonais entre 1939 et 1945. Bien que les scènes traitant directement de la guerre soient rares, elles marquent une nouveauté, en particulier dans l’introduction, peut-être la plus grande réussite visuelle du film, mettant en scène l’horreur de la guerre du point de vue des civils, alors que les flammes des bombes envahissent la ville à travers une animation unique dans son cinéma. Une autre surprise bienvenue est que c’est la première fois que le réalisateur traite frontalement le cauchemar. Le Vent se Lève mettait en scène des rêves pouvant tourner au cauchemar, mais ici, Mahito est confronté à la réalité du cauchemar et à la perte de la distinction entre le faux et le vrai. Le Garçon et le Héron est probablement le film fantastique de Miyazaki le plus proche et le plus connecté à la réalité de son monde, auquel il revient à plusieurs reprises tout au long du film.

Le réalisateur parvient donc à se renouveler tout en restant fidèle à ses thèmes habituels. Le Garçon et le Héron embrasse entièrement le style Miyazaki sous de nombreux aspects.

L’élément le plus évident de ce style réside dans l’animation. Miyazaki l’a fait évoluer au fil des années et a de plus en plus intégré l’animation 3D, malgré ses réticences. On en avait déjà eu un aperçu dans Princesse Mononoké, le premier film du Studio Ghibli à utiliser des scènes en 3D, et Le Garçon et le Héron suit cette tendance sans pour autant faire de l’animation 3D le principal moyen d’expression du film. On peut supposer qu’elle est utilisée principalement lors de l’introduction, mais la majeure partie du film repose sur une animation traditionnelle. Même lorsque des séquences sont réalisées en 3D, le réalisateur a veillé à ce que le film soit entièrement dessiné. Cela se voit clairement dans l’animation des personnages et des décors, qui est sublime et typique du style de l’auteur. Cela n’est pas surprenant, car il s’est entouré d’une équipe habituée à son travail. Outre Toshio Suzuki à la production, on peut également citer Takeshi Seyama, qui a monté plus d’une vingtaine de films du studio, et Atsushi Okui, directeur de la photographie très présent chez Ghibli. Enfin, il faut mentionner la contribution de Takeshi Honda dans la direction de l’animation, bien qu’il n’ait jamais travaillé auparavant pour le studio, il avait déjà démontré ses talents dans une œuvre que vous connaissez peut-être, Evangelion. Sur le plan technique, le film est impeccable et apporte une bouffée d’air frais à une période où l’animation japonaise distribuée en France tend à adopter des techniques assez similaires, souvent caractérisées par des mondes et des designs de personnages redondants (on pourrait faire la même remarque pour les gros films d’animation américains).

Cependant, un film de Hayao Miyazaki, aussi impressionnant soit-il sur le plan technique, ne serait pas aussi remarquable s’il manquait de substance. Heureusement, ce n’est pas le cas de celui-ci, qui aborde de nombreux thèmes chers au réalisateur. Ces thèmes incluent le monde fantastique, les motifs de l’aviation, de la guerre et la réflexion sur l’enfance, son innocence, la remise en question de la famille et sa place au sein de cette dernière. Tous ces thèmes, présents dans la plupart de ses films, trouvent leur place ici. Par contre, le thème principal de « Le Garçon et le Héron » est la question de la famille, qui occupe rarement une place aussi centrale dans sa filmographie. Le film met en scène Mahito, qui se retrouve perdu dans sa situation familiale après la perte de sa mère. Sa mère n’est plus là, il déménage, bref, il perd ses repères. Cette perte est également le déclencheur des événements du Voyage de Chihiro. Alors que Chihiro cherchait à retrouver ses parents disparus, Mahito semble plutôt attiré par une force mystérieuse présente dans le domaine. Les deux personnages n’ont pas le même âge et leurs voyages respectifs n’ont pas la même finalité. Chihiro en ressort grandie, tandis que Mahito profite de ses aventures pour mieux comprendre lui-même et son entourage. Ces éléments et ces liens familiaux n’ont jamais été aussi forts dans ses films plus matures. Miyazaki préférait les explorer plus en détail à travers Totoro ou Ponyo. La maternité, le deuil et la place de chacun au sein de la famille sont des thèmes communs à ces trois films, mais rarement ils ont été aussi émouvants que dans Le Garçon et le Héron.

J’ai mentionné depuis le début de cet article les notions de voyage et d’aventure. Ce sont souvent les éléments centraux des films de Miyazaki, mais la structure de cette épopée menée par Mahito ne ressemble pas tant à celle d’autres films du réalisateur, mais plutôt à celle des Contes de Terremer. Le Garçon et le Héron est une véritable quête. Bien que d’autres films de Miyazaki aient une trame similaire, l’évolution de celle-ci est bien plus proche de celle du fils du réalisateur. Notre protagoniste ne reste que rarement immobile et explore en profondeur son monde, tandis que les personnages qu’il rencontre rappellent ceux que l’on trouve souvent dans les jeux de rôle, aidant le protagoniste dans sa quête. Nous savions que Miyazaki avait prévu d’adapter Les Contes de Terremer, tâche qui sera finalement confiée à son fils, et qui donnera malheureusement naissance à un film imparfait. Le Garçon et le Héron ressemble beaucoup à cette épopée fantastique, initiatique et captivante proposée par le maître de l’animation japonaise. Néanmoins, de manière surprenante, Miyazaki propose avec son nouveau film une histoire plus conceptuelle et ésotérique que ce à quoi nous sommes habitués. Sans entrer dans les détails de l’intrigue, le réalisateur a créé quelque chose d’unique à travers le scénario et le déroulement de son film.

Avant de conclure, une brève mention de la musique, une fois de plus composée par Joe Hisaishi. Bien qu’elle ne soit pas aussi omniprésente que dans Le Château dans le Ciel ou Princesse Mononoké, il est intéressant de noter des sonorités similaires aux compositions qu’Hisaishi a créées pour Takeshi Kitano. Ces similitudes étaient déjà présentes dans Le Château Ambulant et se retrouvent également ici. Ce n’est peut-être pas la meilleure bande originale qu’il ait composée pour Miyazaki, mais elle reste très honorable et le film ne repose pas autant sur sa musique que d’autres.

Un dernier point à noter à propos de Le Garçon et le Héron, c’est la caractéristique la plus marquante du film et ce qui fait la grandeur des films de Hayao Miyazaki : une fois de plus, le réalisateur rejette la dualité simpliste de son récit, créant des personnages qui ne sont jamais guidés par des objectifs unidimensionnels. Ici, comme dans chacun de ses autres, nous comprenons toujours pourquoi les personnages agissent de la manière dont ils le font. C’est l’une des grandes beautés de chacun de ses films, le refus du manichéisme, la remise en question constante de l’humanité, et la preuve qu’aucun de ses personnages n’agit de manière malveillante. C’est cette intention qu’il a toujours maintenue, et dans un domaine du cinéma qui peut parfois être tristement banalisé, c’est là que, selon moi, Miyazaki a profondément marqué le cinéma d’animation, voire le cinéma en général, devenant ainsi l’un des maîtres de cet art.

Le Garçon et le Héron, comme c’est souvent le cas avec Hayao Miyazaki, est une grande réussite. Nous espérons que le maître vivra jusqu’à 120 ans pour nous offrir encore de magnifiques œuvres. Ce qui est certain, c’est que lorsque son temps viendra, une part du cinéma, et du Studio Ghibli, s’en ira avec lui.

Le Garçon et le Héron d’Hayao Miyazaki, 2h04, avec Masaki Suda, Takuya Kimura, Kô Shibasaki – Au cinéma le 1 novembre 2023.