Hayao Miyazaki, un artiste.

Septième nouveau-né dans la filmographie d’Hayao Miyazaki, Princesse Mononoké est également le plus long (2h15) et le plus sombre du réalisateur. Avant Princesse Mononoké, les films de Miyazaki étaient assez « enfantins » dans leur réalisation et dans leur histoire (Mon Voisin Totoro, Kiki la petite sorcière) exceptés Nausicaa de la Vallée du Vent et Porco Rosso. Nausicaa est le premier film du réalisateur qui se positionne vraiment sur l’aspect écologique, un thème que Miyazaki traite également dans Princesse Mononoké. Nausicaa serait comme le grand frère de Princesse Mononoké, tant au rapport à l’écologie qu’au rapport à la femme.
Princesse Mononoké se démarque de ses grands frères, on sent ici que Miyazaki veut nous faire passer un message important, c’est assez clair mais très bien maîtrisé, avec une touche de poésie et de fantastique comme il sait si bien le faire.
Princesse Mononoké en deux mots (ou plus)
Sorti en 1997 au Japon, Princesse Mononoké n’est projeté dans les salles européennes que quelques années plus tard. Au passage, encore aujourd’hui, les films asiatiques prennent encore du temps à arriver en Occident.

Le synopsis de base peut sembler assez simple : un prince, Ashitaka, tue un Dieu Sanglier devenu démon à cause d’une boule en métal dont on ne connaît pas la nature. En le tuant, il est touché par une malédiction qui prend origine sur son bras et qui est voué à s’étendre sur le reste de son corps jusqu’à le posséder à son tour et/ou le tuer. Il décide alors de quitter son village natal sous les conseils de “l’ancienne” pour trouver l’origine du mal qui se propage. Sur sa route, il rencontre une jeune fille élevée par des loups, San, ainsi que Dame Eboshi, qui est à la tête d’un village minier.
Le maître et le féminisme
Hayao Miyazaki laisse une place importante aux héroïnes dans sa filmographie, seules deux œuvre font exception : Porco Rosso (1992) et Le Vent se lève (2013). Les femmes s’imposent dans ses films autant, si ce n’est plus que les hommes, et Princesse Mononoké est une combinaison de plusieurs des héroïnes qu’il nous a présentés auparavant. On retrouve surtout la combativité de La princesse Nausicaa, comme elle, elle protège un écosystème qui lui est précieux, et le défendra coûte que coûte.

San a un caractère puissant, élevée par des loups, et notamment par Moro, sa mère, elle n’a pas vécu avec les humains, elle les déteste, ils représentent un danger pour sa famille et pour la nature environnante. Elle fait preuve d’un sang froid et d’un courage admirable, prête à sacrifier sa vie pour sa famille loup, pour la forêt qu’ils tentent au mieux de protéger contre Dame Eboshi. Cette dernière, elle aussi, est une femme puissante, avec un caractère de fer mais également un grand cœur, elle fait travailler des lépreux dans sa forge. Les femmes de sa forge travaillent également, peut-être plus que les hommes, elles manient les armes et défendent leur village contre les agresseurs extérieurs, semblables historiquement aux colons européens sur les continents américains, africains et asiatiques. Toutes les figures présentes dans Princesse Mononoké renvoient une force, une volonté qu’on ne peut qu’admirer, aussi combatives que les hommes. Hayao Mizayaki tire un portrait de femmes puissantes, indépendantes, qui n’ont besoin de personne pour réussir ce qu’elles entreprennent, Dame Eboshi et San se passeraient volontiers des hommes.

Hayao Miyazaki réussit à créer des personnages très vrais auxquels on s’attache, il les nuance, et notamment Dame Eboshi, ce qui permet de ne pas tout voir en noir ou en blanc : si Dame Eboshi veut détruite la foret environnante, elle donne aussi du travail aux personnes que la société rejette et aux femmes considérées comme faibles dans la plupart des sociétés, elle leur offre la possibilité d’être l’égal des hommes dans tous les domaines.
Un message avant tout écologique
On note dans ce film le parti pris de Miyazaki pour l’écologie. Le décor se trouve dans le Japon d’un autre temps, quand la vie était encore « simple », quand la forêt était encore abondante, quand l’humain ne prenait pas encore toute la place, quand l’industrialisation et le capitalisme n’étaient pas en route.

Seulement voilà, Dame Eboshi est une ombre au tableau, elle s’oppose aux Dieux de la forêt, elle s’oppose au Dieu Cerf, le protecteur de la forêt, elle déclare la guerre à tout ce petit monde pour pouvoir continuer à fabriquer des armes, pour développer des alliances, la forêt prend trop de place. Dame Eboshi représente le capitalisme, l’humain dans tout ce qui peut avoir de mauvais, mais également de bon, car elle possède une bonté d’âme qu’on ne peut nier, elle est le côté sombre et lumineux de l’humanité. Cette déforestation est un fléau pour les êtres qui y vivent, ils sont prêts à se battre, à mourir pour la protéger, quitte à sacrifier toute une race (le massacre des sangliers pendant la « bataille »).
Dame Eboshi triomphe, elle réussit à décapiter le Dieu Cerf, représentant de la Nature, et son courroux ne tarde pas à tomber. Sans lui la forêt meurt, la vie disparaît, humaine comme végétale, sans distinction. Si la Nature meurt, tout meurt avec elle.

La fin de Princesse Mononoké laisse une once d’espoir dans nos cœurs, l’humanité a la capacité de se remettre en question, de tenter de réparer ses erreurs, d’essayer d’être en communion avec la Nature, l’accepter et vivre avec, sans la détruire. Princesse Mononoké est encore aujourd’hui un film d’actualité, car l’écologie politique n’a jamais eu une place aussi importante que dans notre société actuelle (les sociétés d’antan, partout dans le monde, s’inquiétaient déjà des problématiques environnementales avant l’avènement de la « société du risque » capitalo-industrielle. Je vous invite à consulter « histoire du changement climatique du XVe au XXe siècle » de F. Locher et J. – B. Fressoz paru cette année) . 23 ans après sa sortie, le film nous parle encore. Il peut toujours nous apprendre des choses essentielles : la nature doit être préservée car elle nous le rendra. Comme toute bonne œuvre d’animation, c’est un film qui peut toucher les cœurs d’enfants comme d’adultes, et qui reste le meilleur film d’Hayao Miyazaki pour tout ce qu’il représente, que ce soit du côté du féminisme que du côté de l’écologie, une œuvre marquante, sans nul doute.

En cette période compliquée, les cinémas sont contraints de rediffuser des films dit « cultes ». Si l’un de vos cinémas rediffuse ce chef-d’œuvre de l’animation japonaise, faites-nous confiance et foncez (re)découvrir Princesse Mononoké, qui, 23 ans après, n’a pas pris une ride.
Princesse Mononoké à découvrir ou redécouvrir en DVD/Blu-Ray ou directement en salles de cinéma.
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