Le dernier film de Ridley Scott, à peine échauffé avec The Last Duel, concentré sur la décadence de l’empire familial Gucci, ne peut pas faire l’unanimité. On y suit le jeune Maurizio Gucci (Adam Driver), encore en études de droit, sur le point de faire la rencontre de Patrizia Reggiani (Lady Gaga), qui pourrait bien être l’amour de sa vie. L’empire Gucci déjà en marche depuis des années passées, c’est l’héritage qui reprend le trône jusqu’aux excès. Adapté du roman éponyme écrit par Sara Gay Forden en 2000, le film pourrait se diviser en trois actes bien précis, retraçant le parcours des différents personnages, nécessitant la durée conséquente des deux heures et quarante minutes.
Du surjeu constant de sa troupe d’interprètes cinq étoiles, Ridley Scott s’amuse à tourner en autodérision ces personnages fantasques, absurdes, quitte à les rendre presque attachants. C’est un pari du film, que d’assumer à ce point le propos, alternant entre comédie noire, fresque dramatique et thriller, et il n’y a pas à dire, les acteurs semblent s’en réjouir à cœur joie. Du Jared Leto revisitant le Dumb and Dumber du siècle dernier, au couple s’autodéchirant, et vieux rabat-joie, c’est un ensemble de performances, qui déplairont probablement mais indéniablement mémorables. Tout n’est pas toujours pertinent non plus, on pensera à cette nécessité de sur expliquer par les dialogues, de dire ce qui était déjà souligné par un regard, un geste. Dommage, cela rend le film souvent bavard comme moins impactant.
La mise en scène, très classique sur l’intégralité du long-métrage, pose le décor de manière superbe, des immenses bâtiments aux limousines desquelles sortent les personnages principaux, cela est l’occasion de constater l’évolution d’un milieu social, comme familial. De la petite entreprise familiale de transport au grand marché du vêtement, les lieux changent mais pas les personnages. Une phrase énoncée par Jeremy Irons, incarnant le père de Maurizio, exprime la crainte que cette future mariée ne veuille que de lui pour son argent. La réponse du film fera écho à l’épilogue, c’est bien cela qui condamne les Gucci au tour à tour, ce désir non pas de l’argent mais du pouvoir. Si Maurizio pense ne plus aimer Patrizia, il en a surtout bien plus peur, préférant la rejeter pour rester maître de son entreprise, exactement comme ce que voulait faire Aldo Gucci (Al Pacino).
A ce titre, House of Gucci est un film intéressant, jouant de ses clichés comme excès dramatiques pour proposer une fresque spectaculaire. Mais c’est bien là le souci qui se pose, le scénario n’est pas des plus originaux et l’on peut très rapidement déceler où tout cela en venir, qu’il s’agisse du sort de Maurizio comme de Patrizia, pour le peu que l’on se soit renseigné sur le sujet (ou pas du tout). Reste que toute cette galerie de personnages, dans l’incontrôlabilité la plus totale, dispose de scènes très touchantes, qu’il s’agisse du lien père-fils, comme de la scène d’introduction-retrouvée en fin de film, en somme, c’est filmer la naïveté d’un monde suffisamment embourbé dans leurs idéaux qu’ils croiraient presque une voyante à la rue. Avoir tout, mais rien en même temps.
Quelques ellipses sont suffisamment radicales pour être notées, concernant notamment le sort de Rodolfo Gucci, que l’on est en droit de trouver faciles, et l’on aurait pu également souhaiter plus de dynamisme pour la mise en scène des danses en boîte, comme des crises des différents personnages. Finalement, le long-métrage conserve une forme presque théâtrale, proche de la tragi-comédie, dont le numéro des acteurs restera en tête. House of Gucci ne démérite pas, s’imposant comme un audacieux portrait d’une famille en décomposition, paradoxalement pop, dont le réalisme intermittent bouleverse dans un épilogue des plus justes.
Sans lyrisme, le long-métrage de Scott joue dans l’outrancier, sans être trop à côté de la plaque non plus, restant dans les carcans de qui se fait pour le genre, concernant l’intrigue. Ce n’est pas une catastrophe non plus, ce qu’il perd en subtilité comme en écriture, il le gagne dans la démarche. Dans la juste demi-mesure avec le grand public, qui saura s’y retrouver, au spectateur de percevoir le second degré inhérent au film. Un film saisissant, et généreux.
House of Gucci de Ridley Scott, 2h37, avec Lady Gaga, Adam Driver, Al Pacino – Au cinéma le 24 novembre 2021
Critique écrite le 26 novembre 2021, mise à jour le 3 novembre 2023 par Louan Nivesse.
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William Carlier7/10 Bien
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Louan Nivesse9/10 ExceptionnelBien que le film perde de sa force dans le dernier acte, la combinaison d'un casting de stars, d'un scénario plein d'esprit et d'une autre performance remarquable de Lady Gaga font de House of Gucci une épopée passionnante d'amour, de luxure et de criminalité. Même si la longue durée du film ne permet pas de déterminer quels personnages doivent être au centre de l'attention, le monde grandiose que Scott crée avec House of Gucci est un récit instantanément fascinant qui prend des personnages éclectiques et les pousse jusqu'à leur point de rupture : un récit édifiant sur l'influence séduisante de la fortune et de la célébrité.
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