La carrière de Neill Blomkamp est indubitablement l’une des plus fascinantes d’Hollywood moderne, mais aussi l’une des plus décevantes. Son premier film, District 9, est un condensé captivant de science-fiction. C’est avec une certaine grâce et sincérité qu’il abordait la question de l’apartheid en Afrique du Sud. En contextualisant son film avec des extraterrestres, le réalisateur incorporait néanmoins une bonne dose d’action gore et de divertissement pour captiver au mieux son public. Son deuxième film, Elysium, n’atteint pas le même degré d’émerveillement, mais il a permis à Blomkamp de s’essayer à davantage d’action avec un budget plus conséquent, ainsi qu’à d’importantes têtes d’affiche pour promouvoir le film. Enfin, Chappie, son troisième film, renoue avec l’essence dramatique de District 9, tout en tirant profit de l’expérience acquise grâce à Elysium pour créer un film sur l’intelligence artificielle qui questionne autant qu’il divertit.
Après trois longs métrages, Blomkamp commence à attirer l’attention d’Hollywood, qui voit en lui un yes-man potentiel, prêt à exploiter de vieilles licences. Un premier projet d’adaptation du jeu vidéo Halo est lancé, et trois courts métrages sont réalisés avant d’être abandonnés faute de budget. C’est alors que la Fox, avant son rachat, contacte Blomkamp pour potentiellement redémarrer la saga Alien avec un cinquième volet. Bien que le projet suscite de l’enthousiasme, c’est finalement Ridley Scott qui mettra fin au projet en annulant sa réalisation, coïncidant avec la sortie du décevant Alien: Covenant, qui achèvera la franchise – bien qu’une série pour Hulu/Disney+ reste en développement. Blomkamp se lance ensuite dans la production et la réalisation de quelques courts métrages, dont un impliquant Sigourney Weaver (prends ça dans ta figure, Ridley!), avant de revenir au long métrage avec l’obscur et néanmoins raté : Demonic. Finalement, Neill Blomkamp se retrouve à la tête de l’adaptation d’un jeu vidéo. Produit par Playstation, il porte à l’écran la franchise Gran Turismo, célèbre simulateur de course adulé par les fans de grosses voitures. Cependant, entre vitesse et précipitation, on finit toujours par partir en tête-à-queue…
Gran Turismo raconte l’histoire de Jann, interprété par Archie Madekwe, un jeune passionné de course automobile qui passe son temps à jouer au simulateur Gran Turismo. Cela suscite le mécontentement de son père qui ne sait pas comment gérer la situation. Parallèlement, Danny Moore, joué par Orlando Bloom, PDG de Nissan, propose à la marque japonaise un partenariat avec Sony pour créer une compétition ouverte aux meilleurs joueurs du jeu. Ces derniers auraient ainsi l’opportunité de piloter aux côtés des meilleurs pilotes automobiles mondiaux sur de vrais circuits et dans de vraies voitures. Jann est sélectionné pour intégrer la GT Academy. Il est ainsi pris en charge par son ingénieur de course, Jack Slater, interprété par David Harbour, un ancien pilote qui oscille entre le découragement et l’encouragement de manière incessante.
Inspiré d’une histoire vraie, le film Gran Turismo souffre initialement de sa nature d’adaptation de jeu vidéo. La première heure du film s’apparente à une publicité intensive pour le jeu. Blomkamp se voit contraint de mettre en avant le produit qu’il adapte, et bien qu’il tente de l’intégrer subtilement dans le récit, cela reste évident. C’est là le principal problème. Alors que nous faisons connaissance avec les personnages, leurs motivations et leurs désirs, nous sommes constamment interrompus par des segments publicitaires qui contraignent le réalisateur à survoler certains arcs. C’est particulièrement le cas pour Orlando Bloom, présenté uniquement comme un membre de l’entreprise Nissan cherchant à exploiter l’événement. Cela rend son personnage plat, insignifiant et antipathique. Au lieu de nous vendre Gran Turismo comme le meilleur jeu de course, on sent que Blomkamp voulait mettre l’accent sur les personnages et leurs motivations. Malheureusement, ce n’est pas le seul défaut de cette première heure.
Cette première partie met donc en place le personnage de Jann et la relation avec son père, joué par Djimon Hounsou. Une relation clichée et tumultueuse entre père et fils est mise en avant, mettant en avant le caractère incompris et agaçant du jeune geek. La représentation des joueurs est caricaturale, ce qui est ironique pour un film adaptant un jeu vidéo. Au lieu de cela, nous avons un film qui utilise le terme “noob” à chaque occasion et qui se permet de ridiculiser les joueurs en les présentant comme des marginaux stigmatisés dans la société. Cette représentation réaliste à une époque, ne l’est plus aujourd’hui. Un autre problème du film réside dans sa représentation de l’histoire de Jann Mardenborough, certes simplifiée et romancée, qui s’est déroulée il y a dix ans. À cette époque, la représentation des joueurs que les boomers insultaient de “geek” était bien plus prononcée qu’aujourd’hui. Nonobstant, Neill Blomkamp et son scénariste Zach Baylin prennent le parti pris d’inclure cette histoire dans le présent – et pire, de ne pas réellement la dater. De ce fait, l’image du “geek” transparaît comme anachronique, datée. Une incohérence qui fait mal. Heureusement, ces problèmes évoluent enfin lorsque la longue introduction des personnages prend fin.
Dans sa seconde partie, le film devient ce qu’il est censé être : un biopic sur la carrière d’un jeune pilote outsider. Les séquences de courses s’enchaînent, les acteurs sont convaincants, mais quelque chose cloche. La réalisation du film, bien qu’efficace, demeure académique. Blomkamp manque de confiance. Le montage épileptique durant les séquences de courses perd ainsi le spectateur ainsi que toute sensation d’accomplissement qui doit en résulter. Au lieu de nous mettre dans la tête du pilote comme dans les parties dialoguées du film, nous nous retrouvons sur le bas-côté de la route face à un film qui veut courir sans nous. C’est extrêmement frustrant. On aimerait partager les moments de course avec Jann, l’accompagner sur la piste, mais la seule tension instaurée par le film se trouve en marge de la voiture. Selon moi, une course automobile au cinéma doit être vécue de l’intérieur. Même la réalisation des saisons récentes de la F1 par Canal+ est plus cinématographique que les séquences de course du film. C’est vraiment du gâchis, certains plans sont soigneusement conçus mais aucun ne dure plus de trois secondes. Où est passée la contemplation qui caractérisait les autres films du cinéaste ? On finit par se demander s’il avait réellement envie de réaliser ce projet.
Alors, que reste-t-il de Gran Turismo ? Un divertissement convaincant, timide et rempli de clichés. Le long métrage effleure simplement la surface au profit d’une publicité d’une heure qui divise le film en deux. Blomkamp se montre ici trop académique, trop lisse, trop plat. Quelle déception, surtout en sachant que même si l’histoire de ce jeune pilote est stéréotypée, elle demeure fascinante. Si vous êtes passionné de course automobile, Gran Turismo risque de vous laisser sur votre faim. Il vaut mieux vous tourner vers des films tels que Le Mans 66, Le Mans ou l’excellent Speed Racer. Si vous cherchez un divertissement familial avec de belles valeurs et un spectacle correct, vous pouvez tenter le déplacement même si il existe bien mieux ailleurs.
Gran Turismo de Neill Blomkamp, 2h14, avec David Harbour, Orlando Bloom, Archie Madekwe – Au cinéma le 9 août 2023.