Qualifier Daaaaaalí ! de biographie constitue une injustice envers tant le film que son sujet. Aucun long métrage ne saurait prétendre saisir l’essence d’un homme aussi charmant, polyvalent et flamboyant que Salvador Dalí (1904-1989). Divers acteurs, tels que Robert Pattinson, Ben Kingsley et d’autres, ont tenté par le passé de sonder les profondeurs de cet artiste hors du commun. Cependant, la conclusion qui se dégage est que la singularité de Dalí résiste à toute réduction. Cette thèse est habilement mise en relief par le choix de faire incarner Dalí par plusieurs acteurs différents tout au long du métrage, une démarche qui, tel l’art surréaliste de Dupieux, s’emploie à subvertir constamment les attentes du spectateur, ne le laissant jamais prendre le pas sur l’inattendu.
Anaïs Demoustier, la fidèle, se distingue en tant que guide à travers ce tumulte déconcertant. Elle y joue le rôle d’une journaliste désireuse d’obtenir une interview de Dalí pour les pages d’un magazine. Le moment de l’entrevue se déroule dans un hôtel, une entrée en scène prolongée qui rappelle avec humour les facéties de Monty Python : Sacré Graal !. Au premier abord, la présentation de Dalí reflète les caractéristiques que nous lui connaissons déjà. Que ce soit incarné par Gilles Lellouche, Jonathan Cohen ou Édouard Baer, Dalí fait irruption avec ses voyelles prolongées et une confiance démesurée en lui-même.
La comédie jaillit du génie du cinéaste, qui bâtit un monde surréaliste pour servir de toile de fond à ce tourbillon de fantaisie. Lorsque Dalí exige que la journaliste l’interviewe en utilisant un support télévisuel plus prestigieux, il est impossible de résister. Dalí sait saisir chaque occasion pour créer un spectacle mémorable. Si l’on s’attend à voir Dalí concevoir l’idée de peindre des horloges qui se fondent, on risque d’être déçu par Daaaaaalí !. Le plus célèbre des artistes surréalistes mérite un film aussi déroutant que son art, et le réalisateur s’acquitte de cette mission avec brio.
Une fois échappé du dédale de l’hôtel, Dalí devient une épine dans le flanc de la logique et de tous ceux qu’il croise. L’intrigue de l’interview est moins une trajectoire linéaire qu’un prétexte pour une série d’épisodes de plus en plus hilarants. En tant que farce à l’ancienne, agrémentée d’une bonne dose de comédie physique loufoque, ce long métrage est un véritable feu d’artifice comique. L’idée d’amener une Rolls Royce sur une plage peut sembler absurde, mais Dalí l’exige avec conviction. Chaque personnage se retrouve ainsi assujetti aux caprices de l’artiste, et le public est emporté dans cette aventure délirante. Une sous-intrigue impliquant les tentatives répétées d’un cardinal (Eric Naggar) pour convaincre Dalí de peindre une image de ses rêves provoque des éclats de rire inattendus. Dalí se moque de tous, de ses mécènes aux médias qui cherchent à le circonscrire. Dupieux ne s’efforce pas de définir Dalí, mais suit plutôt son exemple et convie le spectateur à partager le rire de l’artiste.
Daaaaaalí ! est à la fois un pur moment de divertissement et une déclaration artistique. Dupieux voit en Dalí un esprit similaire, tous deux créant un art qui défie toute classification. Le film qu’il a conçu peut ne pas reposer entièrement sur la vérité historique, mais il nous révèle davantage sur les aspirations de Dalí et d’artistes similaires que ne le ferait une biographie conventionnelle. D’ailleurs, observer l’artiste en train de peindre ne serait pas aussi amusant que de contempler les absurdités qu’il commet dans la vision débridée de l’auteur. Quel tableau !
Daaaaaalí !, 1h18, avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Edouard Baer – Au cinéma le 7 février 2024
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Vincent Pelisse6/10 Satisfaisant